Antonet, fut le maître des Clowns de la première partie du XXème siècle. En compagnie de Little Walter, Grock et Béby, les trois plus prestigieux Augustes de l’époque. Antonet triompha sur les pistes des plus grands cirques du monde.
Du grand Art
Troisième fils du directeur du Cirque Natali Guillaume, Umberto, dit Antonet, naît en 1872 à Brescia, en Italie. Il fait ses débuts d’Auguste avec son frère Bébé. À Barcelone en 1897, au Cirque de Colon, il devient le partenaire d’Arturo Aragon, dit Tonyno, où il interprète une parodie du célèbre transformiste Fregoli.
Après un passage au Coliseu de Lisbonne, il joue à Paris avec son beau-frère Tonitoff à l’Hippo-Palace dirigé par Albert Schumann, puis au Cirque Plège.
Little Walter lui propose ensuite devenir son clown. Il se compose un silhouette particulièrement élégante avec un maquillage réduit à l’essentiel : le visage blanc agrémenté d’une pointe de rouge sur le bout du nez et d’un large sourcil noir sur le front.
D’un caractère enjoué, il réussit à allier la drôlerie avec la distinction et le raffinement. Avec Walter, il met en place les entrées qui serviront de modèle à plusieurs générations de comiques de la Piste.
Little Walter
Alors que jusqu’alors, la majorité des Augustes campaient le même personnage de niais et de lourdaud, Little Walter réussit à s’imposer en interprétant le rôle d’un gandin malicieux, renouvelant ainsi le genre. Particulièrement imaginatif, il créé des silhouettes amusantes allant du porteur d’eau à l’allumeur de réverbère en passant par la livreuse de chapeaux. Agé de dix ans, Alexandre Ulrich, dit Little Walter, né à Liège le 18 janvier 1879, débute dans la troupe acrobatique Bourbonnel. Il devient le partenaire du clown Pinta, reconnaissable à son embonpoint, puis s’associe avec Umberto Guillaume, dit Antonet, avec qui il se produit en 1904 au Coliseu de Lisbonne. Dans cet établissement prestigieux, il sera régulièrement réengagé chaque année.
Avec Antonet, il monte une série d’entrée qui vont devenir des classiques du genre, comme la parodie des concertistes Kubelick II et Rubinstein, Hamlet, Le clarinetiste, ou Le soldat. À partir de 1907, Little Walter apparaît en solo ou avec de nouveaux partenaires comme Tonitoff. Trois ans plus tard, au Coliseu, il est la vedette de la pantomime Walter aviateur.
Après la première guerre mondiale, il est programmé pour plusieurs saisons au Cirque d’Hiver dirigé par Gaston Desprez, avec Ilès, E. P. Loyal et son fils Joe Walter.
Antonet et Grock
Après une tournée en Amérique du Sud, en 1907, Antonet rencontre un jeune Auguste du nom de Grock avec qui il va former un duo qui, en peu de temps, va devenir une des meilleures équipes du moment. Tous deux sont engagés à Medrano. Ils interprètent les entrées du répertoire avec un brio inégalé, notamment leur fameux concert comique avec quinze instruments différents. Le public les acclame, et ils sont réengagés pour deux saisons supplémentaires.
Antonet et Grock sont demandés au Winter Garten de Berlin, au Palace de Londres, à l’Orpheum de Budapest… puis, Antonet et Grock se séparent…
Antonet et Béby
Antonet découvre alors Béby. Aristodemo Frediani, dit Béby, est né à Bielefeld, en Allemagne, le 2 septembre 1882, au Cirque Blumenfeld. Après s’être produit dans de nombreux établissements européens, son père Augusto Frediani et son épouse Emilia Yacopinni montèrent le Cirque Toscan. Comme ses frères et sœurs, Aristodemo se distinguait par ses pirouettes et sauts périlleux à cheval.
En 1900, la famille Frediani fut engagée au Nouveau Cirque de Paris avec un numéro sensationnel d’acrobatie équestre qui, encore aujourd’hui, reste inégalé. Avec son frère Guillermo, dit Willy, et le voltigeur René Curet, Aristodemo exécutait une série d’exploits comme la croix à quatre, l’équilibre de tête à tête, de main à main, et la fameuse colonne à trois, exercice unique en son genre. L’équipe tint le haut de l’affiche des plus grands cirques du monde comme l’Hippodrome de Londres, Busch à Berlin, Barnum & Bailey en Amérique ou Nikitine en Russie.
Après de nombreuses mauvaises chutes qui ne lui permettait plus d’accomplir ses acrobaties équestres, Aristodemo décide de s’associer avec Antonet. Ils débutent en Espagne, d’abord dans le cirque dirigé par son frère Willy, puis dans les meilleurs établissements ibériques comme le Circo Price de Madrid. Doué d’une nature comique incontestable, avec sa silhouette cocasse de débardeur, le visage peu maquillé illuminé par des yeux ingénus, Béby capte l’attention du spectateur par ses maladresses feintes et ses réactions enfantines qui provoquent inévitablement le rire. Autant Antonet est léger et subtil, Béby est lourdaud et roublard. Parfaitement opposés les deux personnages se complètent à merveille. Antonet et Béby sont régulièrement à l’affiche des grands cirques parisiens comme au Nouveau Cirque en 1923, 1925 et 1926, au Cirque de Paris de 1927 à 1930, et au Cirque d’Hiver en 1934.
À Medrano
Lors de la saison 1930/1931, ils interprètent, chaque quinzaine, une nouvelle entrée comme Le taxi, Les jongleurs maladroits, Le combat de boxe, Les danseurs classiques, L’agence artistique, La poupée mécanique, La corrida, Le tribunal, Kubelick et Paderewski, La partie de billard, Les rossignols, et Les œufs. Avant de débuter leur sketch, ils entrent en piste avec une petite blague, comme celle-ci :
- Antonet : Béby, quelle élégance ! Et cette montre, quel chic !
- Béby : Je pense bien, surtout qu’elle donne l’heure.
- Antonet : Vraiment ?
- Béby : Oui monsieur, et en plus elle fait baromètre.
- Antonet : Comment est-ce possible ?
- Béby : Eh bien, le matin, quand je me lève, j’ouvre la fenêtre, je sors le bras dehors, et si ma montre ressort mouillée, eh bien, c’est qu’il pleut !
Le journaliste Pierre Lazareff écrit : « Ce sont les meilleurs clowns du moment et tout Paris va les voir et les entendre au Cirque Medrano…».
En 1934, gravement malade, Antonet demande à Louis Maïss de le remplacer auprès de Béby. Avec ce jeune et nouveau partenaire, Béby entamera une nouvelle carrière. En 1945, il sera le héros d’un court-métrage intitulé 24 heures dans la vie d’un clown, réalisé par un jeune cinéaste du nom de Jean-Pierre Melville.
Extrait de : Clowns de Cirque – Histoire des Comiques de la Piste – Dominique Denis – Arts des 2 Mondes
Il est encore question d’Antonet avec Grock dans le livre MEDRANO – Boum-Boum – Dominique Denis – Arts des 2 Mondes
Extrait :
Geronimo Medrano papa
Geronimo se remit au travail avec enthousiasme. Sa passion pour les clowns et la comédie clownesque l’amena à réunir dans le même programme plusieurs équipes de clowns, et non des moindres. La chance l’accompagna une fois de plus, lorsque pour la nouvelle saison 1907/1908, il engagea, en plus de Fidel-Fidel et de Ilès et Antonio, deux nouvelles équipes : Tonitoff et Seiffert ainsi que Antonet et Grock. Le premier duo, précédé d’une excellente réputation, était composé de l’élégant clown Antonio Pilar-Jarques, dit Tonitoff, qui brilla en Russie au Cirque Beketow, et de Rudolph Seiffert, un Auguste tout aussi talentueux.
Le second tandem, était nouveau. Le clown Umberto Guillaume, dit Antonet, était le troisième fils du directeur du Cirque Natali Guillaume. Il avait fait ses premiers pas dans la comédie clownesque avec son frère Bébé, puis fut le partenaire de clowns prestigieux comme Tonyno Aragon, Tonitoff, et Little Walter. Racé, élégant, adroit et volubile, et d’un bon tempérament comique, il excellait dans les parodies et les compositions de personnages, allant du vieux barbon à la danseuse andalouse.
Enfin, l’Auguste, Adrien Wettach, dit Grock, qui s’était produit précédemment sur cette piste avec Brick, était pratiquement un inconnu. Il venait de s’associer avec Antonet, et tous deux avaient débuté au Cirque Alexandre à Marseille. Même si sa personnalité n’était pas encore tout à fait affirmée, il se révéla comme un comique plein de verve et d’entrain. Cette nouvelle équipe ne demandait qu’à faire ses preuves, et elle ne tarda pas surpasser ses confrères.
Le rire de Picasso
La saison 1908/1909 débuta le 1er septembre, sous le signe du rire avec les clowns Tonitoff et Seiffert, Ilès et Antonio, les Plattier, et le duo Antonet et Grock. Volant de succès en succès, changeant d’entrée toute les semaines, ces derniers passaient en dernier numéro. Quant à Monsieur Emilio, il était toujours à leur disposition pour leur donner la réplique. Dans le livre Picasso et ses amis de F. Oliviet, nous pouvons lire ce témoignage :
« … Grock débutait avec Antonet. Ce fut une révélation, un déchaînement de rire, du délire ; on ne quittait plus Medrano, on y allait trois et même quatre fois par semaine. Je n’ai jamais vu Picasso rire d’aussi bon cœur qu’à Medrano… »
Souvenirs d’Adrien Wettach
Les clowns Antonet et Grock, interprétaient les entrées du répertoire avec un brio inégalé, notamment leur fameux concert comique avec 15 instruments différents, et grâce à eux, la renommée du Cirque Medrano, s’affirma dans Paris. L’étoile des deux artistes brillait de plus en plus. Ils recevaient, de partout, des propositions pécuniairement intéressantes, pour se produire dans les grandes capitales européennes. Avec ses premières économies, Adrien Wettach s’offrit même le luxe d’acquérir une automobile Grégoire avec laquelle, il allait rendre visite à son patron, Mr Medrano, en villégiature dans sa villa de Ville d’Avray.
Dans ses mémoires, il évoqua, avec nostalgie, cette période passée à Montmartre. Il écrivait :
« … M. le directeur Medrano, connu sous le nom de Boum-Boum, était un homme charmant, mais sévère. Son cirque était ordonné et discipliné… » Et un peu plus loin… « … À l’époque dont je vous parle, Medrano était le cirque le plus gai de Paris et d’Europe. La soirée était agrémentée d’une nuée d’Augustes qui donnaient au spectacle une gaîté et un entrain merveilleux… »
La victoire du rire
À la réouverture de la saison 1909/1910, le public retrouva avec plaisir les Rainat. Le bataillon des clowns était composé de Antonet et Grock, Lavater Lee, Léon, Spampani, Comotti, Fidel-Fidel, Léandre, Charley, Pinochio, et le duo Carpi et Noppi, les créateurs de la parodie de la valse chaloupée, le succès de Mistinguett et de Max Dearly.
Avec une telle armée, Geronimo Medrano ne pouvait que remporter la victoire du rire !
Fin octobre, l’adroite jongleuse Katti Gultini fut particulièrement appréciée. Quant à Antonet et Grock qui s’étaient absentés pour un court engagement à Lyon, ils furent fêtés et acclamés. Début décembre, le cirque fut en émoi, lorsque, lors d’un de ses exercices périlleux, le jeune acrobate à cheval Bastien se cassa le bras.
Alors qu’était inauguré sur la Rive Gauche, le Vel’d’Hiv, et malgré les inondations qui paralysèrent la capitale, début 1910, Geronimo Medrano programma les frères Plattier, dans leurs excentricités musicales acrobatiques. Le monde du Cirque fut endeuillé, en février, par la disparition d’Orlando Averino, qui fut un des fleurons du Cirque Medrano, et le mois suivant, par le décès du directeur Charles Franconi.
Tandis qu’au Jardin d’Acclimatation, Bostock revenait avec sa ménagerie et ses dompteurs, fin juillet, les merveilleux clowns Antonet et Grock, après trois saisons consécutives, quittèrent à regret le cirque préféré des clowns.