Du rire, rien que du rire… Comme pour Grock, il aura fallu une vie à George Carl pour monter son numéro comique et triompher dans le monde entier.
Sur un air de batterie, George Carl entre en piste
D’emblée, on n’arrive pas très bien à situer ce petit bonhomme, qui semble pressé d’en finir alors qu’il n’a encore rien fait. Surtout nous les français qui voulons à tout prix coller une étiquette sur un personnage. Avec ses rouflaquettes et ses gros sourcils, il n’est pas très souriant… peu importe, on en a vu d’autres !
Un combat Homérique
Tiens ! Il jongle avec son chapeau… on a déjà vu mieux… quoi que… c’est rigolo ! Que fait-il maintenant ? Il prend un micro. Bon ! Le fil est trop long. Il tire dessus. Insidieusement, le fil décide de ne pas se laisser faire par ce petit mec de rien du tout. Il se rebiffe. Le bonhomme, lui non plus ne veut pas s’en laisser compter par ce câble qui commence à lui échauffer les oreilles. On ne sait toujours pas si les objets ont une âme, en tout cas, on est sûr qu’ils sont capables de grande nuisance. Et ce fil là, il va lui donner du fil à retordre…
En avant !
Ca y est ! Les hostilités sont déclarées ! Le combat se déroule sans pitié. Le fil est entré dans sa veste. George ne cède pas à la panique. Non. Il se défend vaillamment. Mais attention, les bretelles se mettent de la partie… George doit lutter sur deux fronts à la fois…
La bataille devient alors titanesque. Telle la frêle brebis, seule dans la jungle profonde, les pattes ligotées par les lianes et attaquée sournoisement par le vorace boa constricteur, George ne cède pas à la panique. Habilement, il se débarrasse de son adversaire, mais ce n’est que pour mieux tomber dans un autre piège redoutable. Il vient de se coincer les doigts dans le clip du pied de micro…
Quel combat !
Pendant 27 minutes, George Carl mène, seul, un combat épuisant, qui se conclue par un k .o. du public qui a ri sans discontinuité.
Le reste de son numéro est de la même veine, que ce soit avec un chewing-gum, son harmonica, un guéridon pliant, ou encore avec sa danse excentrique agrémentée d’un saut périlleux, qu’il conclut en se rapetissant à l’infini.
Du Cirque au Vaudeville
George Carl est né à Niles, dans le Michigan, au Etats Unis, en 1917. Ses parents, les Carelli étaient d’origine Napolitaine.
Tout jeune, fit ses débuts avec la famille d’acrobates à cheval Hanneford dirigée par le célèbre comique Edwin, dit Poodles (1891-1967). Bon acrobate, il apprit aussi à sauter à la batoude et réussissait le passage par dessus 5 éléphants. Pendant cinq années, il tourna avec le Cole Bros Circus.
Notre George Carl fut attiré par le Vaudeville américain, avec ses artistes aux multiples talents, tel Ted Lewis un des créateurs des orchestres attractifs, musicien, capable de chanter et de jouer la comédie. Élève assidu, il répéta des danses excentriques à la manière de Syd Fox, et se mit à jongler avec des chapeaux comme Stetson ou Willy Woltard. Enthousiasmé par les frères Jerry et Larry Adler, il monta des gammes à l’harmonica. Il n’oublia pas pour autant qu’il était excellent sauteur.
Un costume, un chapeau…
Enfin prêt, il ne lui restait plus qu’à se faire confectionner un ample smoking et de se coiffer d’un feutre à petit rebord, pour être prêt à affronter le show-business américain.
Seulement, la vie d’artiste n’est pas toujours un conte de fée. On ne devient pas un excentrique de classe en quelques mois, ni en quelques années. Certes, il lui faudra beaucoup de temps et de patience avant d’arriver à s’emmêler avec naturel dans ses bretelles, à perdre une main dans sa manche, à s’entortiller dans le fil du micro…
La science du rire
Dans ce genre de travail, chaque geste qui a pour but de faire rire, doit s’enchaîner avec le suivant, avec une rigueur implacable.
Malgré les apparences, il n’y a aucune improvisation. Cette apparent facilité, n’est qu’un leurre. Cette forme de comédie s’apparente à l’art de la prestidigitation qui donne l’illusion que tous les effets arrivent comme par enchantement.
Apparemment, l’argumentation d’un numéro d’excentrique est d’une banalité affligeante. De plus, l’artiste doit donner la sensation qu’il ne fait rien ! Par la magie de sa créativité, de son originalité et de la force de son interprétation, il réussit à triompher de tous les obstacles qu’il a su accumuler patiemment au fil du temps. N’est ce pas là, le triomphe de l’esprit sur la matière ?
Une création sur le tas
Une autre grande difficulté de cet art de comédie vient aussi du fait que ces situations ne peuvent pas se concevoir à la manière d’un scénario.
Non, Il n’y a pas d’écriture. On ne peut donc pas répéter un sketch devant une glace. Le comment faire ne peut se trouver qu’en présence du public, ce qui explique pourquoi il faut plusieurs années avant de créer une routine capable de passer la rampe devant n’importe quel public. On pourrait dire qu’il s’agit d’une création sur le tas.
Enfin, le succès !
La route empruntée par George Carl fut longue, mais le succès finit par lui sourire enfin en 1957, où il fut programmé au Radio City Music-Hall de New York. Ensuite il passa 24 fois au Ed Sullivan Show, une des plus prestigieuses émissions de télévision de variétés américaines.
Les Parisiens le découvrirent en 1973, grâce à Alain Bernardin, le génial créateur du Crazy Horse Saloon de Paris. En 1979, les Suédois l’ovationnèrent au Cirque Scott.
Naturellement, il fit un triomphe au VI e Festival International du Cirque de Monte-Carlo, où il reçut un Clown d’Or, des mains du Prince Rainier. Ensuite, il retourna à Stockholm au Berns Restaurant, puis tourna au Cirque Knie en 1983. Au Palladium de Londres il participa à la Royal Performance, puis partit à la découverte de Hongkong, l’Australie et l’Afrique du Sud.
Encore Las Vegas
Après dix années passées hors d’Amérique, George Carl fut engagé à Las Vegas au Riviera Hotel.
En 1997, il tourna dans un film anglais Funny Bones (en français : Les drôles de Blackpool), de Peter Chelsom, avec Lee Evans, Jerry Lewis, Oliver Platt, qui ne resta que peu de temps dans les salles françaises. C’est dommage, car tous les aficionados du cirque et du music-hall furent envoûtés par cette histoire à la fois comique et poignante.
La bombe du rire
Excentrique de grande classe, au tempo infernal, véritable bombe du rire, George Carl est mort le 3 janvier 2000. Il avait 83 ans.
Maintenant, George Carl a rejoint au Panthéon du rire, ses illustres prédécesseurs, comme le parodiste Little Tich, Bagessen le casseur d’assiettes, l’acrobate chevelu Franck Pichel, Joe Jackson le voleur de bicyclette, Gaston Palmer et ses petites cuillères, les gentlemen en goguette Nicol et Martin, le poivrot sur le fil, Germain Aéros, les concertistes, les Chesterfield, les joyeux marins, les Craddock, sans oublier ses frères les Clowns, tous ces artistes mythiques qui ont fait la gloire du Cirque et du Music-Hall.
Dominique Denis
Sources :
- Dictionnaire du Cirque – Dominique Denis.
- Performing horses – Charles Filip Fox – p 76-77.
- La Rampe – Novembre 1930.
- Cantor-Lewis – Arthur Spaeth – The Cleveland News – 14/3/1938.
- Das Organ – Août 1957 – Janvier 1980 – Décembre 1986.
- Very nice show à Nice – S. Z. – Le Figaro.
- Knie Magazine 1983.
- Témérité américaine et sophistication de l’est – Claude Fléoutier – Le Figaro – Décembre 1979.
- Le VI e Festival International du Cirque de Monte-Carlo – L. R. Dauven – C. U. n° 115.
- Festival International de Monte-Carlo – Pierre Paret – p 192-193.
- Informations Peter Din.
- Eccentrico di gran classe – Raffaele De Ritis – Circo – Février 2000.
Adaptation de l’article paru dans Bretagne Circus n°99 : George Carl ou la bataille du rire par Dominique Denis
À Lire :
Clowns de Cirque – Histoire des Comiques de la Piste – Dominique Denis – Arts des 2 Mondes.