Avec le tour des cuillères dans les verres, et autres exercices d’agilité, Gaston Palmer, jongleur pour rire, a divertit trois générations de spectateurs dans les plus grands cirques et music-halls du monde.
L’enfant de Jeanne d’Arc
Gaston Palmer naquit à Marseille, le 4 Mars 1886. Il fit ses débuts sur la piste du Cirque Théodore Rancy à l’âge de six ans, dans la pantomime Jeanne d’Arc.
Son grand-père Alfred, de citoyenneté britannique était un jongleur à cheval. Engagé en 1875, au Cirque Théodore Rancy, il resta attaché à cet établissement jusqu’en 1903. Avec son épouse Caroline Constance née Cotrel, il eut trois enfants : George, Sarah et Lisa. L’aîné, George devint à son tour dès son plus jeune âge, un excellent jongleur équestre, spécialisé dans les jongleries d’assiettes. Il se disait l’inventeur de l’exercice du ballon avec un bâtonnet tenu dans la bouche.
Adèle Rancy
George se maria avec Adèle Blanche Emilie Rancy, la fille de Théodore et d’Olive Rancy, née Loyal.
Lorsque ses enfants Justin (1884-1962), Gaston, Jeanne (1891-1980) et Marcelle, furent en âge de travailler, George Palmer monta un numéro de jonglerie grimé et costumé en pierrot, sous l’appellation des 5 Piroscoffis. En 1904, la famille Palmer partit en Amérique. Elle y resta dix ans.
Lendemain de noce
Après s’être marié avec Joyce Colleano, la sœur du célèbre fildefériste Con Colleano, qui fut un des rares acrobates à passer en tête d’affiche dans les programmes de variétés, Gaston Palmer allait enfin travailler à son compte et entamer une carrière de jongleur sérieux.
Un soir, quelque part dans un music-hall américain du Pantago Circuit, fatigué d’avoir quelque peu fait la bombe la nuit précédente, sa prestation ne fut qu’une suite de ratages. Au lieu d’enchaîner vite fait il n’arrêtait pas de s’apostropher, de se gourmander, de se maudire… Le résultat fut des salves de rire de la part du public.
Pantago l’encouragea à continuer non pas à faire la noce mais à développer ce procédé qui allait faire son succès.
Le jongleur pour rire virtuose
Elégant dans son smoking, le visage ouvert et avenant, Gaston Palmer attirait la sympathie. Sans perdre une seconde, il débutait son numéro par une brillante démonstration de jonglerie à trois balles. D’emblée, il mettait le public en confiance. Il enchaînait ensuite, avec une routine d’une grande difficulté en utilisant un cigare, un chapeau et un parapluie. Puis tout naturellement, il se mettait à commenter ses exercices… Voyez, je vais faire ceci, et puis cela.. enfin peut-être…
Une nouvelle dimension
Gaston Palmer emmenait son public dans une nouvelle dimension. Le jongleur de service n’était plus ce que l’on croyait. Il n’était plus la machine à jongler, mais l’artiste, face à son art bien difficile. Il enchaînait un exercice avec une boule et une queue de billard. Il tenait une grande conversation avec la boule, lui expliquant ce qu’elle devait faire ou plutôt ne pas faire… surtout de ne pas tomber !
Il avait à son répertoire un équilibre délicat d’une bouteille sur une queue de billard. Il annonçait : C’est un bon truc….. si je le réussis ! Matois, un peu plus tard, il précisait : si je rate, c’est exprès.
Si le public ne réagissait pas après un tour défaillant, il lui confiait : c’est curieux, il y a des jongleurs qui s’énervent quand on les applaudit, moi, les applaudissements ne me gênent pas.
Un gentleman
Il conduisait son numéro avec bonhomie, sans temps mort, avec un tempo allant crescendo. C’était un gentleman qui ne tenait pas à faire perdre ni son temps et encore moins celui du public. Ses exercices étaient émaillés de chiqués et de réussites subtilement dosés. Il ponctuait ses tours de remarques qui déclenchaient à coup sûre les rires du public.
Et puis, en running-gag venait le tour des cuillères dans les verres. L’exercice consistait à lancer, d’un seul jet, simultanément, huit cuillères dans huit verres posés sur un plateau. Seulement, à chaque fois, il loupait régulièrement l’exercice ! Il créait un véritable effet de suspense.
Une connivence s’établissait ainsi entre l’artiste et le public. Enfin, lorsqu’il réussissait à faire entrer toutes les cuillères dans les verres, c’était le triomphe…
Le jongleur pour rire Gaston Palmer était un virtuose de son art.
Le jongleur pour rire de Fréjaville à Legrand-Chabrier
Lors du passage de Gaston Palmer, à l’Alhambra de Paris, Gustave Fréjaville écrivait dans Comœdia, du 13 septembre 1923 : « … Gaston Palmer n’est ni le maladroit par principe, ni le malin qui annonce un coup difficile. C’est un bon jongleur dont la science technique s’affirme dès le début de son travail par quelques excès de vélocimanie mieux qu’honorable ; mais aussi un comédien charmant qui connaît à merveille la psychologie du public et qui en profite pour animer son jeu de la façon la plus spirituelle… »
Encore Fréjaville
L’année suivante, le grand chroniqueur notait encore : « …On peut dire que Gaston Palmer a véritablement créé un genre parmi la diversité des attractions de Variété : il y avait le jongleur maladroit, le jongleur endormi, le jongleur burlesque… il a créé le jongleur humoriste et philosophe qui s’assure contre les mauvaises blagues de ses nerfs et du hasard… »
En 1925, Legrand-Chabrier, un autre grand critique, écrivait à son tour : « …S’il gagne tant mieux, il a joué ; s’il perd, tant mieux, il rejouera. Ce désintéressement sportif dégage de la sympathie d’autant qu’on s’aperçoit vite que ce qu’il obtient au milieu de la gaieté générale, la sienne comprise, n’était pas si facile que cela… »
Version anglaise du jongleur pour rire
La version anglaise était encore plus drôle, car Gaston prenait volontairement un accent français, à la manière de Maurice Chevalier. Lorsqu’avec son sourire irrésistible, il annonçait Ze spounss in ze glasises, la salle était conquise.
Il se produisit dans les plus grands music-halls de Grande Bretagne, comme à Londres, l’Alhambra, l’Empire ou le Coliseum, ou encore en Amérique, à l’Hippodrome de New York. Il enchaînait succès sur succès. Après son passage à l’Empire de Paris, Gustave Fréjaville, écrivait en décembre 1931 :
« … Gaston Palmer obtint sous mes yeux samedi soir, un succès qui comptera parmi les plus mémorables de sa carrière… »
La villa du jongleur
Il avait sa place tout en haut de l’affiche, comme on peut le voir dans cette annonce du Cirque Medrano qui date de janvier 1935. Dans un article rédactionnel, il était annoncé comme une des plus fortes personnalités comiques de l’époque.
Ayant bien gagné sa vie, Gaston Palmer fut tenté de se retirer du métier. En 1937, avec son cousin Henri Rancy, il exploita une salle de cinéma, à Dunkerque. Hélas, en 1940, le cinéma fut détruit par les bombardements. Il reprit alors, la route des cirques et des Variétés.
Music-Hall Parade
Son numéro fut filmé en France, en 1955, lors de l’émission Music-Hall Parade de Gilles Margaritis. En 1959, il fit une tournée en Australie, puis passa au fameux Radio-City de New York.
Il poursuivit sa carrière jusqu’à un âge avancé. En 1958, il passait à l’Astoria de Brême. Il avait 72 ans. Il prit sa retraite à Juan les Pins dans une belle maison qu’il appela la Villa du Jongleur. Il mourut en 1969. Il avait trois enfants Marie, Annie et Gaston. Son fils prénommé aussi Gaston, se maria en octobre 1950, avec la danseuse acrobatique Alys Danels, la fille du célèbre Auguste E. P. Loyal.
L’hommage au Maître
Gaston Palmer a inspiré d’autres jongleurs comme Beda Lack ou Dercillat, qui reprirent à leur compte l’exercice des cuillères dans les verres. Après la deuxième guerre mondiale, Eric Brenn qui fut considéré comme un des meilleurs tourneur de saladiers sur tige, inclut ce exercice dans son numéro. Cette attraction fut reprise ensuite par Jean Lemoine, puis Jo Putzai, ou encore Nino Robertini. D’autres artistes comme Francesca Berardy, Herbert Lohse-Bertini, ou Bossa et son fils David Burlet ajoutèrent aussi cet exercice à leur répertoire.
Ce tour d’agilité, qui est devenu depuis, un classique de la comédie, inspira quelques clowns, comme Manetti et Rhum dans l’entrée des Jongleurs.
Et les clowns…
Par la suite, l’Auguste russe Karandache améliora le tour en utilisant des louches et des soupières. Plus tard, son compatriote Oleg Popov présenta un petit sketch basé sur cet exercice, prétexte à exhiber une impressionnante collection de médailles. Culbuto sur une idée de Pépète Pauwel présenta un exercice qui consistait à envoyer des œufs sur leur coquetiers respectifs placés sur un plateau.
L’Auguste Hollandais Frenky propose une variante avec des bouquets de fleurs projetés dans des vases. Enfin le clown Toto a su renouveler l’exercice avec ses fameuses carottes voltigeuses. Ainsi, chaque jour, sur toutes les pistes du monde, ces artistes qui présentent encore ce tour admirable rendent hommage, parfois à leur insu, à Gaston Palmer, le roi de la comédie jonglée.
Dominique Denis
Sources : Le jongleur pour rire
- Die grosse Nummer – Dr. A. H. Kober.
- Au Music-Hall – Gustave Fréjaville.
- 4.000 years of juggling – Karl Heinz Ziethen.
- Juggling – Karl Heinz Ziethen – Andrew Allen.
- Théodore Rancy – Jacques Garnier.
- Sur les chemins des grands cirques voyageurs – Adrian.
- A l’Alhambra – Gustave Fréjaville – Comœdia – 13/9/1923 – Septembre 1924 – 8/9/1931.
- Article – Comœdia – 8/1/1925.
- L’Empire – Jacques Salles.
- A l’Olympia – Legrand-Chabrier – Comœdia – 6/7/1925 – 17/9/1926.
- Au music-hall des Champs Elysées – Gustave Fréjaville – Comœdia – Octobre 1926.
- Cirque Medrano – Le Petit Parisien – 18/1/1935.
- Programme Medrano – 18 au 31 janvier 1935.
- Annonces ABC – Octobre 1936 – Alhambra – Février 1967.
- Programme China Variétés – 1939.
- Finsbury Park Empire – The Performer – 17/10/1948.
- Actualités Pathé-Cinéma – Avril 1949.
Sources – suite
- Un beau mariage de cirque – Serge – 23/10/1950.
- Revue officielle des spectacles – Octobre 1950 – Novembre 1950.
- Sid Plummer – Echo – Janvier 1951.
- Echo – Juillet 1953.
- Gaston Palmer returns – The Performer – Novembre 1954.
- Music-Hall Parade – Jacques Richard – Scènes et Pistes – n° 17 – 1955.
- Moulin Rouge – Echo – Juillet 1957.
- Scènes et Pistes – n° 59 – 1959.
- Gaston Palmer – Adrian – Scènes et Pistes – n° 113 – 1965 – L. R. Dauven – Le Cirque dans l’Univers – n° 72 – 1969.
- Jongleur-Rückblick – Hermann Sagemüller – Das Organ – 1969.
- Herbert Lohse-Bertini – Hermann Sagemüller – Das Organ – Mai 1972.
- Adieu à Henri Rancy – Christian Oger – Le Cirque dans l’Univers – 1973.
- Ferry – Hermann Sagemüller – Das Organ – Mai 1977.
- À vous les jongleurs – Adrian.
- L’Art de la Jonglerie – Dominique Denis.
- Les cuillères dans les verres – Dominique Denis – C.C.C.
Adaptation de l’article paru dans Le Cirque dans l’Univers – n° 208 : Gaston Palmer, gentleman du rire par Dominique Denis.