Lillian Leitzel, star de la gymnique aérienne, dont le nom reste associé avec celui de son mari Alfredo Codona, est devenue un personnage mythique, qui a inspiré de nombreux auteurs.
De mère en fille
En 1930, Lillian Leitzel, une des plus grandes gloires de l’Histoire du Cirque, était au sommet de sa carrière. Elle était la reine du Ringling Bros and Barnum & Bailey Circus, le plus grand cirque du monde. Trois ans auparavant, elle s’était mariée à Chicago, en troisième noce, avec Alfredo Codona, le merveilleux trapéziste qui, chaque jour, tournait, avec une grâce incomparable, le triple rattrapé par son frère Lalo. Après avoir triomphé dans les plus grands cirques américains et européens, Lillian Leitzel devint la patronne du Leitzel Codona Circus qui tourna au Mexique en 1930.
Leamy Ladies
Enfant de la balle, Leopoldina Zoé Alice Eleonore Pelikan, dite Lillian Leitzel était pratiquement née sur un trapèze. Sa mère Zoé Pelikan, d’origine tchèque, faisait partie de l’équipe des Leamy Ladies, qui présentait un numéro de gymnique sur un impressionnant cadre aérien rectangulaire auquel était accroché un trapèze à chaque extrémité. Ce cadre mobile tournait autours d’un axe actionné par une des acrobates pédalant sur une bicyclette fixée sur le montant supérieur de l’appareillage.
Lillian vit le jour à Breslau en 1882. Pour ses neuf ans, sa grand-mère Julia qui à l’âge respectable de 84 ans, montait encore sur ses agrès, l’autorisa à monter sur un trapèze, et depuis ce jour-là, elle refusa d’y en redescendre. Après plusieurs engagements en Grande-Bretagne, la troupe des Leamy, composée de Ketty, Zoé, Ketty, Emmy et Lillian, se produisit aux Etats-Unis en 1909 chez Barnum and Bailey, puis retourna en Europe.
Une frêle poupée rieuse
Restée en Amérique où elle s’était mariée dans la plus grande discrétion, Lillian monta en 1911 un nouveau numéro aux anneaux et à la corde lisse, à la manière des sœurs Foucart, qu’elle présenta dans les music-halls de la chaîne Orpheum. Engagée dans un théâtre du New Jersey, elle fut victime d’une chute. Le lendemain, elle réapparut sur scène avec des béquilles, et monta à ses agrès par la seule force des bras et se surpassa dans une succession de figures acrobatiques qui lui valut un succès fulgurant. Lillian Leitzel était désormais lancée…
Elle fut engagée en 1917 par Charles Ringling dans son cirque à trois pistes. Elle y resta plus de dix ans.
Dans les premiers temps, elle dut se produire en même temps que deux autres artistes, Marie Meker dite Dainty Marie et Ruth Budd.
En haut de l’affiche
Lorsque les frères Ringling fusionnèrent leurs entreprises en 1919 sous l’appellation de Ringling Bros and Barnum & Bailey Circus, Lillian Leitzel avait réussi à évincer ses deux rivales et occupait le haut de l’affiche. Elle n’était pas ce que l’on appelait une beauté. De petite taille, plutôt boulotte, sa musculature était impressionnante. Elle savait jouer de son visage encadré de boucles blondes avec des mines espiègles. Douée d’un charisme exceptionnel, elle savait, en un rien de temps, établir une relation de complicité avec son public. Cette frêle poupée rieuse se balançait dans les airs sans se soucier ni de l’effort, ni du danger. Le public l’adorait, les beaux messieurs aussi…
Bien que courtisée par de nombreux riches soupirants, elle épousa en seconde noce, Clyde Ingalls qui était le présentateur du Side Show. Comédienne née, elle savait se montrer adorable avec les journalistes ou au contraire maltraiter le petit personnel.
The Crimson Cradle March
Elle était annoncée avec emphase par le ringmaster, qui précisait qu’elle allait présenter la performance aérienne la plus remarquable, la plus étonnante, la plus électrique de tous les temps, puis l’orchestre interprétait The Crimson Cradle March.
Prise dans le faisceau d’une poursuite, Lillian faisait une entrée majestueuse sur la piste centrale, juchée sur l’épaule de Willy Moser, un imposant portier en costume à brandebourgs. Elle était suivie de Mabel Clemens, la soubrette, dont la fonction principale consistait à prendre soin, avec vénération, de sa cape blanche.
Le vol du bourdon
Après avoir salué et envoyé des baisers à ses admirateurs, Lillian, en maillot clair et tutu gaufré, effectuait sa montée de corde au ralenti avec arrêt en planche à chaque brasse. Elle présentait une série de figures aux anneaux dont un équilibre sur les mains tenu pendant un long moment, puis une suite de rétablissements. Après la réussite d’un effet, elle frappait ses genoux l’un contre l’autre de façon amusante, qui emportait l’adhésion des spectateurs.
Sur l’air du Vol du Bourdon, Lillian, suspendue par un poignet au staffe d’une corde lisse, attaquait une série impressionnante de tourniquets sur un seul bras en dislocation. Le présentateur commençait alors à compter le nombre de tours de bras roulé, suivi par le public pris au jeu. Vers la quarantième révolution, une de ses épingles à cheveux se détachait libérant ainsi sa chevelure, ce qui renforçait l’intérêt de sa prestation. Lorsqu’elle arrivait à cent, les applaudissements crépitaient de toute part.
Ses records
À chaque représentation, elle était censée battre son propre record. Suivant le public, elle réalisait entre cinquante et cent cinquante tours. Elle en réussit une fois deux cent quarante-neuf !
Redescendue de ses agrès, vacillante, titubante, épuisée par tant d’efforts, elle envoyait mille baisers à la foule en liesse, puis sortait de piste triomphalement soutenue par ses deux partenaires. Elle était une véritable reine.
Ses patrons la traitaient avec les égards dus à son rang. Ils lui aménagèrent une loge personnelle recouverte de tapis d’orient et fleurie chaque jour.
Lillian Leitzel de Paris à Copenhague
Après ses triomphes sur la piste centrale du plus grand cirque du monde, Lillian Leitzel fut programmée au Bertram Mills Circus à Londres pour la période de Noël 1921. En co-vedette avec les Codona, elle fut à l’affiche du Cirque d’Hiver de Paris, sous la direction de Gaston Desprez, en décembre 1928, où elle obtint un immense succès. Cependant, le journaliste Henry Thétard dans sa Chronique du Petit Parisien, fit preuve de retenue et écrivit non sans une pointe d’ironie :
« … Il y a deux manières d’apprécier un numéro d’acrobatie : sous le point de vue de la difficulté vaincue et sous celui de la présentation. À ce dernier égard, le numéro de miss Lillian Leitzel est remarquable puisque l’artiste réussit à donner le change aux profanes au point de leur faire mettre son travail sur le même point que celui des Codona… J’ai même lu que des « connaisseurs éprouvés » avaient partagé cette opinion. Sauf le respect que je dois à leurs « connaissances », je dirais à ces aimables plaisantins que ce serait proprement comparer Gustave Flaubert à Xavier de Montépin… »
Au Valencia
Lillian Leitzel et les Codona revinrent au Cirque d’Hiver de Paris en décembre 1930 et janvier 1931. Le mois suivant, Alfredo Codona et Lilian acceptèrent de se séparer le temps d’un contrat de courte de durée, le premier au Wintergarten de Berlin et la seconde au Valencia de Copenhague.
L’ange d’Inglewood Park
Le vendredi 13 février, pendant son numéro, la fixation d’un de ses anneaux se brisa. Lillian fut précipitée la tête la première d’une hauteur de sept mètres… Elle fut immédiatement transportée à l’hôpital. Deux jours plus tard, souffrant de lésions internes multiples, elle rendit son dernier soupir. La Reine des anneaux venait de monter aux Paradis des étoiles de la Piste. Dans tous les cirques du monde ce fut la consternation… Inconsolable, Alfredo Codona fit ériger un fantastique monument en marbre blanc de Carrare au cimetière d’Inglewood Park en Californie.
Depuis, Lillian Leitzel, la star du Nouveau Monde, est devenue un personnage mythique, dont le nom reste associé avec celui de son mari Alfredo Codona. Star de la gymnique aérienne elle a inspiré de nombreux auteurs comme Fred Bradna qui lui a consacré un chapitre entier dans son livre intitulé The Big Top, Dominique Jando dans une publication ayant pour titre Les reines des anneaux, ou encore Lewis Teasdale dans un article bien documenté dans la revue américaine The White Top.
En 1958, Lillian Leitzel fut la première artiste inscrite au tableau d’honneur du fameux Circus Hall of Fame, le musée de Peru dans l’Indiana.
Claudia Vivaldi
Extrait de : Les Reine du Trapèze – Claudia Vivaldi – collection Dossier de l’Histoire – Arts des 2 Mondes – 2011.
Sources
- Notes Dominique Denis.
- Dictionnaire illustré des mots et locutions du Cirque – Dominique Denis.
- La Fabulosa Historia del Circo en México – Julio Revolledo Cardenas.
- Lilian Leitzel – Lewis Teasdale – The White Top – décembre 1981.
- Les Leamy – La Science Illustrée – 28/9/1896.
- Programme Despard-Plège – 1906.
- Cirques en bois, Cirques en pierre de France – Charles Degeldère et Dominique Denis.
- 200 years of the american circus – Tom Ogden.
- Ils donnent des ailes au cirque – Adrian.
- American Circus – John et Alice Durant.
Sources – suite
- The Circus in America – Charles P. Fox & Tom Parkinson.
- The golden age of circus – Howard Loxton.
- Cent ans d’affiches du Cirque Henry Veyrier.
- La Merveilleuse Histoire du Cirque – Henry Thétard.
- Bertram Mills – David Jamieson.
- Le cirque en images – Marthe et Juliette Vesque – G. P. Maisonneuve et Larose.
- En Piste – Le cirque en image des sœurs Vesque – Bernadette Boustany.
- Histoire du Cirque – Serge.
- Histoire Illustrée des Cirques Parisiens – Adrian.
- Histoire Mondiale du Cirque – Dominique Jando.
Sources – suite
- Le cirque et ses étoiles – Tristan Rémy.
- Le Grand Livre du Cirque – Monica J. Renevey.
- Storia del circo – Allessandro Cervelatti.
- The Circus in America – Charles P. Fox & Tom Parkinson.
- Musées des Voluptés – Maurice Verne.
- Annonce Das Programm – 22/6/1930.
- Programmes du Cirque d’Hiver de Paris – décembre 1928 – décembre 1930.
- Chronique du Cirque – Henry Thétard – Le Petit Parisien – 2/12/1928 – 3/12/1930 – 1/2/1931.
- Die Circus-Königin – Das Organ – mai 1961.
- The Big Top – Fred Bradna & Hartzell Spence.
- Les reines des anneaux – Dominique Jando.
- Amazones, guerrières et gaillardes – Pierre Samuel.
- Site internet : Circus Hall of Fame.
À lire :
- Les Reine du Trapèze – Claudia Vivaldi – collection Dossier de l’Histoire – Arts des 2 Mondes – 2011.
- Les reines des anneaux – Lillian Leitzel et Dolly Jacob – Dominique Jando – Editions de la Gardine – 1990.
- Ils donnent des ailes au Cirque – Adrian – 1988.