Buffalo Bill, de la réalité à la légende
par Alain Chevillard
Buffalo Bill est incontestablement un symbole du mythe du Far-West. Showman, il fit fortune et se ruina en produisant son fameux Wild West Show tant aux Etats-Unis qu’en Europe.
Une vie de pionnier …
William Frederick Cody, dit Buffalo Bill, naît dans une fratrie de huit enfants, le 26 février 1846, à Leclaire, dans l’État de l’Iowa, d’Isaac Cody et de Mary Leacock Cody. Ses ancêtres sont d’origine espagnole, anglaise et irlandaise, émigrés en 1730. Sa famille s’installe sur la rive est du Missouri, près de Fort Leavenworth, lorsqu’il est âgé de cinq ans. Après la mort de son père, tué au cours d’une querelle, il se retrouve chef de famille : il n’a que dix ans.
Dans son autobiographie, il se vantera avec aplomb et une certaine provocation, d’avoir froidement tué son premier Indien à onze ans. Sa mère, femme de caractère, meurt alors qu’il est encore adolescent. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il doit travailler. C’est ainsi qu’il est d’abord convoyeur, accompagnant dans les immenses plaines les convois qui ravitaillaient les premiers émigrants des Rocheuses.
Cent métiers
Par la suite, Cody sera successivement éclaireur, conducteur de diligence, chef de convoi, trappeur, chasseur, puis en 1857 messager pour le Pany-Express. En 1860, il fait la plus longue chevauchée enregistrée au Pony-Express. On lui demande de remplacer au pied levé un cavalier relais victime des Indiens. Il effectue alors un trajet de 500 kilomètres ne s’arrêtant que pour s’alimenter et changer de monture.
À 17 ans, il s’engage dans le 9e de cavalerie du Kansas. Il sert comme éclaireur dans le Tennessee et comme soldat dans l’infanterie du Missouri. Durant la guerre de Sécession nordiste, il se voit confier une mission sans gloire : l’espionnage.
Chasseur de bisons
Le 6 mars 1866, il se marie, à Saint-Louis, avec Louisa Frederici, dont le père occupe une place importante dans les services de police. Pendant quelque temps, il prend la direction d’un hôtel à Salt Creek Valley. Cette fonction lui pesant, il confie son épouse à ses sœurs et intègre l’armée. À la fin de 1866, il devient éclaireur scout sous les ordres du Général Custer. Dans l’armée, sa parfaite connaissance du terrain et sa grande habitude des Indiens lui valent rapidement la confiance et l’estime de nombre d’officiers qui mènent la guerre contre les Indiens.
Il s’associe aux frères Goddard pour fournir à la compagnie de chemin de fer de l’Union Pacifie la viande nécessaire à la nourriture des ouvriers engagés à la construction de la voie. Il abat dans la journée les bisons que les ouvriers mangent le soir. C’est ainsi qu’en 18 mois (1867-68) il abat, dit la légende, 4.280 bisons, ce qui lui vaut le surnom qui fit sa gloire, Buffalo Bill. Étant payé au bison abattu, il est possible qu’il ait quelque peu gonflé la facture…
Ned Buntline
En juillet 1869, il atteignit à la gloire en guidant le 5• de cavalerie jusqu’à sa spectaculaire victoire de Summit Springs au Colorado. Les troupes s’étant établies au Fort Mc-Pherson en août 1869, Cody, sûr de son emploi, décide d’y faire venir sa femme. Elle le découvrit avec les cheveux longs, la moustache et la barbichette qui étaient alors le look des coureurs de prairie. C’est à cette époque que l’écrivain Ned Buntline rencontra Buffalo Bill Cody, dont les exploits inspireront la trame de ses futurs romans populaires et, par la suite, de ses pièces de théâtre. Le capitaine W.B. Brown avait installé ses quartiers dans la juridiction de la Grande Loge Maçonnique du Nebraska, loge dont il était membre. Cody et Brown étaient des amis proches. Brown, probablement, parraina Cody qui, le jour de son 24• anniversaire, fut accepté. Il fut initié le 6 mars 1870 et reçu le 2 avril.
Durant cette même année, l’un des événements les plus importants de sa vie fut la naissance de son unique fils Kit Carson Cody prénommé en hommage à un autre héros de l’Ouest qui était l’idole de Buffalo Bill. Le 10 janvier 1871, Cody est élevé au rang supérieur de Maître Maçon.
Une renommée nationale…
C’est à cette époque qu’il atteint une renommée nationale accompagnant dans l’Ouest, comme guide, quelques expéditions de chasse prestigieuses, telle celle organisée en janvier 1872 pour le grand duc Alexis de Russie, fils du Tsar Alexandre Il. Conscient de son rôle de représentant du Wild West, il troque sa défroque d’homme des bois de tous les jours pour endosser l’extravagante tenue qu’on lui connaîtra ensuite, le costume d’apparat de vaquera mexicain surmonté d’un spectaculaire chapeau commandé sur mesure à la compagnie Stetson, et caracole sur un magnifique étalon blanc comme neige. Il crée ainsi son personnage emblématique et lance une mode vestimentaire à laquelle on identifiera par la suite le personnage du cow-boy.
En cette fin d’année 1872, Ned Buntline le convainc de monter sur les planches pour jouer son propre rôle dans Les scouts des plaines, un mélodrame populaire basé sur ses exploits.
Les récits de Buntline
Les récits romanesques de Buntline ou d’autres écrivains populaires, ainsi que les relations de journalistes aventureux et en verve étaient plus épiques que véridiques et enjolivaient les faits historiques, créant une légende activée par la multiplicité des récits plus ou moins imaginaires. Pendant une dizaine d’années, Cody va entremêler sa vie de scout et celle d’acteur. L’été, il cultive les exploits en cassant de l’indien et l’hiver il raconte sur les planches la folle épopée de Buffalo Bill.
En 1876, l’armée américaine est engagée dans sa plus grande campagne anti-indienne. Cody s’illustre après la défaite de Little Big Horn et le massacre de Custer en tuant le chef indien Yellow Hand en combat singulier et en dédiant le scalp du mort, qu’il arbore sur scène, à la mémoire du général Custer.
À partir de 1882, Cody cesse presque toute activité guerrière pour se consacrer à un nouveau projet, celui du Wild West. Si le personnage s’éloigne d’un vécu de référence pour se consacrer davantage à sa médiatisation, il y gagne cependant dans le raffinement du réalisme de ses représentations.
Le Wild West Show
Le premier spectacle en plein air organisé par Buffalo Bill eut lieu le 4 juillet 1882, au Nebraska, à l’occasion de la célébration de « la bannière étoilée », symbole de l’Indépendance américaine. Il inventait alors le rodéo en érigeant en spectacle le quotidien de la vie des cow-boys, qui consistait à dompter des chevaux sauvages et capturer au lasso des bouvillons. Cody y découvre les vertus du spectacle en plein air beaucoup plus adapté aux dimensions de l’Ouest et à ses propres ambitions qu’un théâtre fermé.
Le 17 mai 1883, la troupe fut créée et ses déplacements à travers le pays débutèrent. En décembre 1884, lors de l’exposition du centenaire de l’exploitation du coton, le Cirque Sells Brothers et le Buffalo Bill Wild West Show se produisent en même temps à la Nouvelle Orléans. Cet événement fera s’y rencontrer Annie Oakley et Buffalo Bill ; impressionné par les performances de cette dernière, il décidera de l’engager. A partir de 1885 et pendant 17 ans, elle sera une des principales vedettes du show.
Nate Salsbury, le maître imprésario de William Cody, avait encouragé ce dernier à reporter ses activités théâtrales vers des spectacles organisés en extérieur. Il était à la recherche d’un contrat qui lui permettrait de faire effectuer une tournée européenne au show, lui conférant ainsi une plus grande notoriété et une légitimité aux yeux du public américain.
Le voyage déterminant de Londres
Une formidable occasion se présenta en 1886 lorsque les organisateurs de l’Exposition Américaine de Londres proposèrent à Cody de présenter son spectacle à Earl’s Court. L’événement était organisé sous l’égide de la Couronne britannique et du gouvernement américain. Le succès fut tout simplement incroyable. Il n’y avait pas eu de production américaine comparable en Angleterre depuis les exhibitions du Général Tom Pouce, organisées par P. T. Barnum dans les salons de l’aristocratie britannique. Dans la presse, les critiques furent enthousiastes tant en Angleterre qu’aux Etats-Unis. Lorsque le steamer « State of Nebraska » embarqua pour Londres, la troupe comprenait 218 passagers (dont 97 Indiens), 180 chevaux, 18 bisons, 10 élans, 5 bœufs texans, 4 ânes, et 2 cerfs. Parti en avant-courrier, John Burke, un des managers du show, organisait un gigantesque affichage dans Londres et une énorme campagne de presse à l’américaine.
Avant première
Le 5 mai, soit quatre jours avant que le spectacle ne soit ouvert au public, le Prince de Galles, le futur roi Edward VIl, accepte l’invitation de William Cody de venir en famille, avec de nombreux notables, pour assister à une avant-première donnée en leur honneur. Après le show, tous les artistes furent présentés au Prince et à sa famille.
Cet épisode fut abondamment rapporté dans la presse car Annie Oakley, une ardente féministe, ignorant les règles de l’étiquette, serra la main de la Princesse de Galles. Enthousiasmé par le spectacle, le Prince n’eut de cesse de convaincre sa mère, la Reine Victoria, d’assister à une représentation. C’est ainsi qu’une command performance fut organisée le 11 mai. Pour la première fois depuis la mort de son époux, le Prince Albert, un quart de siècle auparavant, la Reine Victoria apparut en personne à un spectacle public. Sa présence au Wild West Show fit la une des journaux des deux côtés de l’Atlantique. Le fait qu’elle ait choisi d’apparaître à ce spectacle dans le contexte des célébrations qui marquaient le Jubilé de son règne donnait plus de poids encore à sa présence.
Sa Majesté la Reine Victoria
Lorsque le spectacle commença et que le premier cavalier fut entré dans l’arène en brandissant le drapeau américain, Victoria se leva et s’inclina. L’ensemble du public suivit son exemple et les officiers et soldats britanniques présents saluèrent la bannière étoilée. Ce moment solennel faisait disparaître le ressentiment important qui subsistait entre les deux nations depuis la guerre d’indépendance et lui donnait une énorme signification politique. Dans le cadre des festivités de son Jubilé, la reine Victoria demanda une autre command performance.
À cette occasion, elle convia ses cousins, les rois de Belgique, de Grèce et de Danemark, le Duc de Saxe ainsi qu’une importante délégation de princes et princesses d’Europe parmi lesquels le futur Kaiser d’Allemagne Guillaume Il, à l’entourer pour assister au Wild West Show.
Dans la diligence
Le point culminant du spectacle fut atteint lorsque les souverains du Danemark, Grèce, Belgique, et Saxe, ainsi que le Prince de Galles, sautèrent dans la diligence conduite par Buffalo Bill et firent, tous ensemble, un tour d’arène pendant que les Indiens simulaient l’attaque de la diligence.
Lorsqu’il en descendit, le Prince de Galles, connu pour son amour du poker, aurait dit à Cody: « Colonel, vous n’avez jamais eu en main quatre rois comme ça». Ce à quoi Cody répliqua: «J’ai déjà eu quatre rois, mais quatre rois comme ça plus le Prince de Galles font un flush royal qu’aucun homme n’a jamais eu en main ».
L’Exposition Américaine
Durant toute l’Exposition Américaine, le Wild West Show fut superbement organisé. Deux séances étaient données chaque jour, attirant une moyenne de 30.000 spéctateurs. Et comme les tribunes principales avaient été conçues pour accueillir 20.000 personnes assises, on peut déduire que 10.000 d’entre elles devaient rester debout. Les services de presse s’arrangeaient pour que soient publiés dans la presse les portraits, autour de Buffalo Bill, des personnalités qui assistaient aux spectacles. Lorsque l’Exposition ferma ses portes, en octobre 1887, plus d’un million de personnes avaient assisté aux spectacles du Wild West Show, faisant de Buffalo Bill une célébrité aussi populaire à Londres que l’avait été Benjamin Franklin à Paris un siècle plus tôt.
En capitalisant sur le triomphe de Londres, Burke et Salsbury étendirent la tournée dans les cités industrielles de Birmingham et Manchester. À cette occasion, ils introduisirent dans le show des effets spéciaux tels qu’un cyclone et des feux de prairies. Tous les comptes rendus de l’époque rapportèrent que la tournée anglaise avait été un triomphe phénoménal. À un point tel, qu’avant que la troupe ne retourne aux Etats-Unis, ses managers avaient déjà élaboré des plans pour revenir, mais cette fois sur tout le continent européen.
À Paris
Après la 1ère tournée d’un an (avril 1887-mai 1888) en Angleterre, la seconde tournée de trois ans et demi (mai 1889-décembre1892) débuta à Paris, à l’occasion de l’Exposition Universelle, où le Wild West Show s’installa durant sept mois sur le Champs de Mars. Pour ce contrat, William Cody avait renouvelé quelques éléments du spectacle, son Cowboy Band jouait l’hymne national et plusieurs figurants, habillés en trappeurs, représentaient l’influence française au Canada. Le reste demeurait pratiquement inchangé.
La réputation déjà très forte de Cody fut grandement augmentée par l’énorme battage publicitaire préparé par ses avant-courriers. Plus de 10.000 personnes, parmi lesquelles le Président Sadi-Carnot, assistèrent à la première du spectacle. Tous les journaux français étaient remplis de comptes rendus et d’interviews des artistes. Les Indiens attirèrent particulièrement l’attention lorsqu’ils montèrent sur la Tour Eiffel.
Rosa Bonheur
Rosa Bonheur, la célèbre artiste peintre, reçut Buffalo Bill dans son Château de By, à Thomery, près de Fontainebleau. À cette occasion, ce dernier lui offrit un costume d’Indien Sioux. Le showman posa pour l’artiste qui, dans un tableau célèbre, l’a représenté dans son fameux costume, chevauchant fièrement son destrier blanc.
Pendant tout l’été, l’engouement pour le show fut tel (3.000.000 de spectateurs) que d’aucuns en vinrent à se demander si l’événement en ville n’était pas plutôt le Wild West Show que l’Exposition Universelle. Jamais immodeste, Cody se laissait, sans réticence, prendre à l’adulation qu’il provoquait.
Les tournées européennes
Après Paris, le show visita le sud de la France et l’Espagne. Puis au début de 1890, Cody et son Wild West tournèrent en Italie. À Rome, le Pape Léon Xlii reçut la troupe et lui donna une · bénédiction spéciale.
Après le voyagé d’Italie, ce fut l’Allemagne où le spectacle fut remodelé pour offrir un côté plus impérial, en incluant . des troupes étrangères, parmi lesquelles des cavaliers arabes et syriens. Suivirent des représentations en Autriche, Belgique et à nouveau en Angleterre.Une dernière tournée d’adieu qui dura quatre ans (décembre 1902-décembre 1906) inclura ces mêmes pays d’Europe en ajoutant l’Espagne et la Hongrie.
Adieu Cody
En 1916, ayant conquis cinquante millions de spectateurs, mille grandes villes et douze pays mais ruiné par ses affaires qui ont périclité, William Cody se retire d’un rôle qu’il ne peut plus assurer avec le panache nécessaire en raison de l’âge et de l’arthrose. Pourtant il s’imposa toutes les douleurs du monde, corsets et autres tortures pour conserver sa prestance et son assise à cheval, le temps d’un tour de piste de plus en plus bref qui laissait le vieil homme éreinté par l’obligation de donner l’image d’une fougue juvénile.
Il meurt chez sa sœur l’année suivante, le 10 janvier. Le 15 janvier, il bénéficie de funérailles quasi nationales. Il est enterré dans une tombe surmontée d’une grosse roche au sommet du Lookout Mountain, près de Denver, au Colorado. La machine symbolique, loin de s’éteindre avec son instigateur, continuera de tourner à plein rythme.
Alain Chevillard
Extrait de : Buffalo Bill {1846-1917) : de la réalité à la légende… par Alain Chevillard – Le Cirque dans l’Univers – n° 230
À lire :
- Buffalo Bill– Jacques Portes – Fayard.
- Buffalo Bill et le Wild West Show – Jacques Portes – Le Chêne.
- Buffalo Bill – Michel de Faucheux – Folio.
- Tristesse de la terre – une histoire de Buffalo Bill – Eric Vuillard – Actes Sud.
- Vie et Aventures de Buffalo Bill – Albert Bonneau.
- L’ouest sauvage de Buffalo Bill – Une légende américaine – Wilson Martin.