Louis Dejean, fondateur du cirque des Champs-Elysées et du Cirque Napoléon fut, incontestablement, le plus grand directeur européen du XIXème siècle.
Une famille d’artisans
Fils d’un artisan serrurier, Louis Dejean naquit à Montfort-l’Amaury le 15 juillet 1786. Il suivit à Paris son frère aîné Louis-François qui pratiqua même métier que son père.
Louis Dejean débuta modestement comme apprenti boucher. Lorsque son patron fit faillite, il reprit son commerce. Il n’avait que dix-neuf ans. Il ne tarda pas à rendre sa petite entreprise bénéficiaire.
Etabli 19 rue de Bretagne, il se maria avec mademoiselle Françoise Rosalie Grulet, née en 1790, dont les parents tenaient une charcuterie dans la même rue. Ils se marièrent le 7 octobre 1807 à l’église Sainte Elizabeth.
Ils eurent deux fils : Louis François, (prénommé comme son oncle) né en 1807, et Jean Eugène, né le 25 avril 1817.
Du commerce au négoce
De simple commerçant, Louis Dejean se lança dans le négoce de viande. Après la chute de l’Empire, lorsque les armées étrangères occupèrent la capitale, il réussit à devenir fournisseur des troupes d’occupation.
Avec ses premiers bénéfices, il acheta l’immeuble du 19 rue de Bretagne. Il échangea ensuite son bien immobilier contre un terrain non bâti situé 66 boulevard du Temple.
Délaissant sa boucherie, il se consacra à la vente et l’achat de terrains et immeubles dans le quartier du Temple
Le nouveau Cirque Olympique
Après l’incendie du deuxième Cirque Olympique parisien des frères Franconi, en mars 1826, ces derniers décidèrent de faire construire un autre établissement. Ils constituèrent une société en commandite dirigée Adolphe Franconi (le fils d’Henri), associé avec Vilain de Saint-Hilaire et Ferdinand Laloue. La nouvelle direction jeta son dévolu sur le terrain du 66 boulevard du temple appartenant à Dejean. Elle lui signa un contrat de location-vente.
Le budget de la construction de ce nouvel établissement fut largement dépassé et la société d’Adolphe Franconi débuta son entreprise avec des dettes. Cependant, l’inauguration du troisième Cirque Olympique, en présence du Duc d’Orléans, le 31 mars 1827 fut brillante.
Les finances du Cirque Olympique
Malgré le succès des spectacles du Cirque Olympique, la direction ne sut contrôler les dépenses de l’entreprise. Il y eut une faillite concordataire le 24 février 1830. Vilain de Saint-Hilaire se retira de l’affaire et laissa sa place à François Sergent.
En tant que propriétaire du terrain, Louis Dejean proposa un arrangement, bien entendu à son avantage, et les représentations purent reprendre le mois suivant. Après les événements de juillet 1830, qui amena le règne de Louis Philippe, les représentations suivirent leur cours.
Trois ans plus tard, le Cirque Olympique était à nouveau dans une situation financière catastrophique. Une fois de plus, Dejean se proposa de désintéresser les créanciers – il en avait les moyens – et de reprendre à la direction artistique Adolphe Franconi et Vilain de Saint-Hilaire qui détenaient le privilège d’exploitation. C’est ainsi que Louis Dejean devint le propriétaire du bâtiment.
Première direction de Louis Dejean
Entre temps, Dejean loua le cirque à Jean-Baptiste Loisset pour l’été. Pour la rentrée d’octobre 1833, il fit signer un nouveau bail à Adolphe Franconi et Vilain de Saint-Hilaire. Le troisième Cirque Olympique reprit ses représentations. Sans être encore le directeur du cirque, il étudia avec soin la gestion d’une telle entreprise
Dejean entreprit des travaux de rénovation, et en septembre 1834, l’établissement s’appela le Théatre National du Cirque Olympique.
L’année suivante, le 26 mai 1835, il obtenait l’autorisation de la part des autorités monter un cirque, aux Champs-Elysées, dédié aux jeux de la Piste. Par ce fait, il devenait officiellement directeur de cirque.
Louis Dejean directeur des deux cirques
Les spectacles du Cirque des Champs-Elysées au Carré Marigny débutèrent le 30 juin 1835. L’installation, qui se voulait provisoire, était faite de planches et de toiles.
Lorsque le Tribunal du Commerce déclara, une fois de plus, la faillite de la société du Cirque Olympique, le 30 septembre 1836, Louis Dejean sauva la situation.
Au Cirque Olympique, dès le 2 octobre 1836, les spectacles reprirent avec Adolphe Franconi comme maître de manège et Ferdinand Laloue comme metteur en scène.
Le 22 novembre 1836, Dejean obtenait la permission d’exploitation. Il devenait le patron de la société des deux cirques (Théâtre du Cirque Olympique et Cirque des Champs-Elysées).
Le plus beau cirque du monde
Par l’arrêté préfectoral du 21 avril 1840, Louis Dejean reçut le permis de construire pour une salle de spectacle en pierre au Carré Marigny. Il signa un bail emphythéotique de quarante ans avec la Ville de Paris et y construisit le plus beau cirque du monde.
Un an après, la première eut lieu le 3 juin 1841.
Une des vedettes fut le maître des maîtres de l’équitation François Baucher. Les écuyères comme Caroline Loyo, Pauline Cuzent, les sœurs Loisset, Camille Leroux madame Lejars, attirèrent la fine fleur de la gentry parisienne. La troupe comprenait encore les meilleurs artistes de l’époque tels le clown Auriol, Paul et Fortuné Lalanne, Paul Cuzent, Jean Lejars.
Le Cirque des Champs-Elysées de Louis Dejean devint le temple du cheval. Avec ces deux cirques, la ville de Paris devenait le centre d’attraction des artistes de cirque européens.
Louis Dejean vend ses cirques
Le privilège d’exploitation lui fut prolongé jusqu’à la date d’expiration de son bail. Cependant, cette autorisation ne lui permettait pas de mettre son entreprise en commandite par action.
Prétextant son âge – il avait alors 58 ans, ce qui pour l’époque était considéré comme vénérable – Dejean vendit la société des deux cirques à Jules François Fernand Gallois le 14 juin 1844. Ce dernier était un propriétaire foncier qui rêvait d’entrer dans le monde du spectacle, mais qui n’avait aucune compétence, ni expérience en la matière. Quelques jours plus tard, il fondait la société en commandite Jules Gallois, Théâtre National, Cirque Olympique, Cirque des Champs-Elysées.
Prévoyant la suite des évènements, Dejean, prit de nombreuses actions de la nouvelle société, et en devint un important actionnaire. Il fut même nommé, le 1erfévrier 1845, membre honoraire du comité de surveillance de la nouvelle société.
Dejean retrouve son cirque
Sans grande surprise, Jules Gallois ne sut maintenir l’équilibre financier d’une telle entreprise. Il vendit, en 1847, le Cirque Olympique à Adolphe Adam et Adolphe Tranchant, dit Mirecourt. Le 23 septembre, Gallois démissionnait de son poste de directeur du Cirque des Champs-Elysées, et Louis Dejean était nommé à sa place par le conseil d’administration.
De plus, une ordonnance du 5 novembre 1847 lui redonnait son privilège d’exploitation du Théâtre du Cirque des Champs-Elysées, appelé Cirque National.
Son fils Eugène,qui était alors le père de deux filles, Blanche Eugénie et Berthe, travaillait pour lui. Il était chargé de voyager dans toute l’Europe à la recherche de nouveaux artistes.
Le cirque français en Angleterre
Afin de conserver sa troupe, Louis Dejean emmena ses artistes au Royal Amphiteatre de Liverpool. Les débuts eurent lieu le 27 novembre. La troupe se produisit ensuite à Londres, à Drury Lane du 2 mars au 16 mai 1848.
Pendant ce temps, malgré la révolution de février 1848 qui instaura la deuxième République Française, il fit rénover la salle des Champs-Elysées. Le Cirque National fit sa réouverture parisienne le 25 mai.
A la fin de l’année, le 10 décembre, Louis Napoléon Bonaparte était élu président de la République Française.
Bruxelles, Gand, Berlin, Leipzig
Après le décès de Laurent Franconi, survenu le 14 mai 1849, la troupe de Dejean passa l’hiver 1849 en Belgique, à Bruxelles et à Gand.
Fort de ses succès, en 1850, Louis Dejean fit construire à Berlin, 141 Friedrichstrasse un cirque en en bois érigé par le charpentier Otto. Ce fut un succès. Le Cirque National de Paris se rendit ensuite à Leipzig durent l’été 1851 puis retourna dans la capitale prussienne en novembre. Cette fois le cirque fut construit en pierre.
Ce fut un drame terrible quand, cette année, Berthe, âgée de sept ans, la fille de son fils Eugène, mourut. Une autre naissance, celle d’Alice Marie atténua la douleur de la famille.
Sa saison d’hiver terminée en mars 1852, Dejean emmena ses artistes à Bruxelles pour deux semaines. Il fit la réouverture du Cirque National des Champs-Elysées le 17 avril 1852.
Cirque Napoléon et Cirque de l’Impératrice
Parallèlement, à la fin de l’année 1851, Louis Dejean avait obtenu l’autorisation de construire à Paris rue des Fossés du Temple un cirque pour ses saisons d’hiver. La société du Cirque National des Champs-Elysées s’appela alors Société pour l’exploitation des Deux-Cirques.
L’inauguration eut lieu le 11 décembre 1852, et comme le nouveau président s’était métamorphosé en empereur, le 2 décembre, l’établissement fut tout naturellement baptisé Cirque Napoléon.
Quant au temple du cheval des Champs-Elysées, il prit le nom de Cirque de l’Impératrice.
Eugène Dejean nouveau directeur
En 1854, Louis Dejean eut la douleur de perdre son épouse Françoise Rosalie, née Grulet, le 7 février.
Alors qu’il était âgé de 69 ans, il nomma, en février 1855 son fils Jean Eugène, dit Eugène, co-gérant de la société. Après le décès d’Adolphe Franconi, le 1ernovembre, il confia la direction du manège à Henri Maîtrejean pour le Cirque Napoléon, à André Kenebel pour les Champs-Elysées. Par la suite, cette fonction primordiale sera confiée à Jean Léonard Houcke puis Théodore et Léopold Loyal.
Au mois de juillet de l’année suivante, Eugène Dejean devenait le directeur de la société.
D’années en années, les spectacles devenaient plus variés avec des entrées de cage comme celle de madame Labarrère, ou de gymnastes aériens, notamment Jules Léotard l’inventeur du trapèze volant, le 12 novembre 1859. Eugène Dejean géra correctement la société qui chaque année se révélait bénéficiaire.
Louis Dejean châtelain
A la tête d’une belle fortune, Louis Dejean s’établit au château de Cesson, à Saint Leu. Impliqué dans la vie de sa commune, il finança la construction d’un lavoir. Dans se propriété, il était entouré d’animaux comme sa lionne Perettequi vivait en liberté.
Toujours alerte – il avait alors 82 ans – Louis Dejean décida de reprendre la direction des deux cirques, en février 1868.
Deux ans plus tard, après la défaite de Napoléon III, à Sedan, devant les armées prussiennes, le 1erseptembre 1870, la IIIème République était proclamée. Le Cirque de l’Impératrice redevint celui des Champs-Elysées et le Cirque Napoléon prit le nom de Cirque National.
Entrée de Victor Franconi
Trois ans plus tard, le 1erjanvier 1873, Louis Dejean laissa la direction des deux cirques à Victor Franconi, le fils de Laurent.
Le Cirque National fut appelé Cirque d’Hiver et celui des Champs-Elysées, Cirque d’Eté. Ces deux établissements consacrés aux arts de la piste, continuèrent de présenter d’excellents programmes avec des étoiles comme les écuyères Virginie Léonard, le maître écuyer James Fillis, la belle fildefériste Oceana Renz, le clown Billy Hayden… Des pantomimes furent montées telles La chasse au cerf, Une caravane dans le désert, La guerre du Caucase, La vie parisienne ou Cendrillon.
Le monarque du Cirque
Agé, Louis Dejean se retira dans son domaine de Cesson au milieu de ses animaux de compagnie. Une de ses amies, la peintre Rosa Bonheur brossa un portrait de Perette, sa lionne favorite.
Il décéda dans son château le 12 octobre 1879. Officier de la Légion d’honneur, il avait 93 ans.
D’origine modeste, Louis Dejean fut un homme d’affaire exceptionnel, gestionnaire avisé, directeur d’une rare compétence. Sans conteste, il peut être considéré comme un des plus grands patrons du XIXème siècle. Un véritable monarque du Cirque.
Dominique Denis
Sources
- Actes d’état civil – recherches Paul Salasca.
- Notice biographique – notes de T. Rémy.
- Histoire des petits théâtres – Nicolas Brazier.
- La Merveilleuse Histoire du Cirque – Henry Thétard.
- Histoire illustrée des cirques parisiens – adrian.
- Cirque en bois, cirques en pierre – Charles Degeldère et Dominique Denis.
- Louis Dejean – Cirk75.
- Louis Dejean – Henry Thétard – Music-Hall – n° 90.
- Le Cirque Olympique du Faubourg du Temple (1827-1836) – M. J. Vesque – Le Cirque dans l’Univers – n° 15.
- Louis Dejean – Tristan Rémy – Le Cirque dans l’Univers – n° 66.
- Premiers cirques parisiens – Dominique Denis – circus-parade.com
- Deuxième Cirque Olympique – Dominique Denis – circus-parade.com
- Troisième Cirque Olympique – Dominique Denis – circus-parade.com
- Ferdinand Laloue – Tristan Rémy – Le Cirque dans l’Univers – n° 61.
Sources – suite
- Cirque des Champs-Elysées – Dominique Denis – circus-parade.com
- Louis Dejean et le Cirque Olympique en Angleterre – Tristan Rémy – Le Cirque dans l’Univers – n° 70.
- Circus-Archäologie – Hermann Saguemüller
- Spectacles de Paris – Le monde dramatique – Alphonse Karr – 1835.
- Théâtre du Cirque Olympique – Journal des Femmes – 1835.
- Le Courrier des théâtres – 1836.
- Notes Paul Haynon.
- Jean-Baptiste Auriol – Tristan Rémy – Cirques.
- L’Illustration – 1844.
- Le Magasin Pittoresque – juin 1844.
- Le Charivari – 1845.
- Le Moniteur – 11 juin 1846.
- Le Cirque à Bruxelles – Jean Léo.
- Gent Circusstad – André De Poorter.
- Louis Dejean à Berlin – Tristan Rémy – Le Cirque dans l’Univers – n° 72.
- Architectures du Cirque – Christian Dupavillon.
- Année 1852 au Cirque – Dominique Denis – circus-parade.com
Sources – suite
- Cirque Napoléon – Dominique Denis – circus-parade.com
- Un glorieux centenaire – Henri Thétard – Le Cirque dans l’Univers – n° 11.
- Le Cirque d’Hiver – Louis Gagey – Le Cirque dans l’Univers – n° 11.
- La première du Cirque Napoléon – M. J. Vesque – Le Cirque dans l’Univers – n° 11.
- Le Cirque Napoléon – Lectures du soir – Février 1853.
- Le Monde Illustré – 1859.
- Eugène Dejean directeur des deux cirques – Martin Saint-Yre – Le Cirque dans l’Univers – n° 64.
- Société des deux cirques – Séance de l’assemblée générale annuelle des actionnaires – janvier 1864.
- Les deux cirques de Paris sous Victor Franconi – M. J. Vesque – Le Cirque dans l’Univers – n° 20.
- L’année théâtrale – 1874 – 1875.
- Il était une fois le Cirque Lamy – René-Charles Plancke.
- L’almanach de Seine-et-Marne – 1881.