Étonnante destinée de Mauricia de Thiers qui, en septembre 1904, fut la première femme au monde à s’élancer dans l’espace à bord de son auto-bolide.
Aux Folies Bergère
Une fois de plus le public parisien assista à un programme extraordinaire lors de la réouverture des Folies Bergère, le 3 septembre 1904.
Quel programme ! Pour ne citer que quelques attractions : les cyclistes Noiset sur un plateau tournant, le manipulateur de pièces Nelson Down ou le jongleur paresseux Tom Hearn. Depuis, ces artistes sont devenus mythiques.
Alors que dire du numéro de l’auto-bolide ?
La presse unanime
Laissons la place au Figaro qui le lendemain écrivait :
« … Du faite du fameux jardin d’hiver, sur la pante très rapide d’un plancher de looping, dévale une automobile emportant une forte jolie femme, mademoiselle Mauricia de Thiers, entrainée par sa vocation et par la rapidité de l’auto. Tout à coup la machine est retournée, lancée dans le vide, et décrivant une courbe de vingt mètres environ, retombe sur une piste – toujours avec le sourire sur les lèvres de la charmante chauffeuse.
Ovation indescriptible, cris enthousiastes du public emballé à son tour… »
De Gil Blas à l’Écho de Paris, la presse fut unanime pour saluer à la fois l’exploit technologique et le courage de la belle Mauricia.
Tourner la boucle
L’attraction resta trois mois à l’affiche des Folies Bergère.
Pour être juste, nous devons également le succès de cet exploit à leurs créateurs : Le peintre Carlos Alonso Perez et l’ingénieur Maurice Garanger. Ces deux amis s’inspirèrent du looping the loop, cette attraction où un cycliste casse-cou boucle la boucle, créé par W. H. Barber à l’Empire de Londres, en février 1903. Ce défi sensationnel fut repris ensuite par d’intrépides vélocipédiste comme Diavolo, Ugo Ancillotti, Émile Noiset, Abbins…
L’idée de Perez et Garanger était simplement de réaliser un effet similaire, cette fois en voiture. Il fallait oser ! Le principe étant de lancer, sur une rampe, une voiturette conduite et son chauffeur et de tourner la boucle dans l’espace.
Les deux créateurs confièrent la réalisation technique à la société Beuve qui leur construisit l’ensemble selon leurs plans.
Engagements prestigieux
Les directeurs de cirques se bousculèrent pour engager l’incroyable Mauricia de Thiers. Les frères Bureau qui avaient loué le Cirque Rancy à Lyon, la mirent à l’affiche, en décembre 1904.
Et ce fut l’Amérique ! Mauricia débuta la tournée du Barnum & Bailey Circus en mars 1905 au Madison Square Garden de New York, puis tourna avec le chapiteau toute la saison.
L’année suivante, elle triomphait au Cirque Albert Schumann à Berlin, puis au Cirque Royal de Bruxelles, sous la direction d’Edouard Wulff.
Au Coliseu de Lisbonne
Lors d’une représentation au Coliseu de Lisbonne, dirigé par Santos, à laquelle assistait le roi Carlos, elle fut victime d’un terrible accident. La voiture fut déviée dans sa trajectoire et s’écrasa sur le sol. Miraculeusement, elle échappa à un tragique destin mais fut quand même sérieusement blessée.
Après une tentative de saut périlleux avec un cheval pour le compte de Wulff, à Bruxelles, Mauricia remonta dans son auto-bolide pour une tournée en Russie, en 1908. Elle se produisit dans les cirques de Moscou, Saint-Pétersbourg et Kiev…
La femme bilboquet
Le numéro de l’auto-bolide ayant été repris par de trop nombreuses consoeurs, Mauricia se lança dans une nouvelle aventure celle de la femme bilboquet. En voici le concept : une énorme boule en osier à l’intérieur de laquelle est assise une dame, est lancée dans les airs, exécute un tout complet sur elle-même, et vient se planter, tel un bilboquet, sur un pieu planté plusieurs mètres plus loin.
Un jour de septembre 1909, en répétition à l’Hippodrome de Paris, le bilboquet géant retomba à l’extérieur du pieu de réception et Mauricia faillit rester étranglée par le courroies qui la maintenait. Une fois de plus, elle survécut à cet accident.
D’une opiniâtreté sans égale, elle reprit l’entrainement, et le numéro de la femme bilboquet fut présenté au Casino de Paris en octobre 1910.
Madame le Maire
Ayant épuisé les joies des sensations fortes, Mauricia se tourna vers le théâtre et entreprit des tournées.
Délaissant les fastes du cirque et du music-hall, elle rencontra le peintre Gustave Coquiot avec qui elle se maria, le 24 mars 1916.
Loin des paillettes et des mondanités, elle acheta une maison à Othis, en Seine-et-Marne.
Alors qu’en 1945, les femmes françaises venaient d’obtenir le droit de vote, Mauricia fit partie d’une liste aux élections municipales, et dans la foulée fut élue Maire de la commune. Ce fut un événement.
Femme exceptionnelle, dotée d’une forte personnalité, respectée de tous, elle resta ceinte de son écharpe tricolore jusqu’à son décès le 14 septembre 1964.
La destinée de Mauricia de Thiers
De son vrai nom Anaïs-Marie Betant, Mauricia était née à Thiers, dans le Puy de Dôme, le 20 juin 1880. Ses parents étaient ciseliers. À dix-huit ans, elle épousa un garçon de sa région, mais le ce mariage ne dura pas. Montée à la capitale, elle rencontra Alonso Perez et sa vie allait être transformée…
Quelle destinée étonnante que celle de Mauricia de Thiers ! Assurément une femme hors du commun !
Nous remercions Adrian qui nous la fit découvrir dans son livre Attractions Sensationnelles. Félicitons également Alain Woodrow qui, sortant des sentiers battus, écrivit une biographie parfaitement documentée – un modèle du genre – sous le titre : La femme bilboquet.
Dominique Denis
Sources
- Aux Folies Bergère
- Livre : La femme bilboquet – Alain Woodrow.
- Réouverture des Folies Bergère – Le Figaro – 4/09/1904.
- Les Folies Bergère – Jacques Pessis & Jacques Crépineau.
- La presse unanime
- Gil Blas – 3/09/1904.
- L’Écho de Paris – 3/09/1904.
- Série d’articles : L’Auto, le Figaro, la Vie Illustrée, le Petit Journal…
- Tourner la boucle
- Attractions sensationnelles – Adrian.
- Dictionnaire du Cirque – Dominique Denis.
- Encyclopédie du Cirque – Dominique Denis.
- Looping the loop au Cirque – Dominique Denis – circus-parade.com.
- Ugo Ancillotti – Dominique Denis – circus-parade.com.
- Engagements prestigieux
- Le progrès illustré – 27/11/1904.
- Bureau – affiche à Lyon.
- Notes sur Albert Schumann – Edouard Wulff.
- New York Tribune – 9/03/1905.
- Barnum & Bailey Circus – affiches – programme.
- Au Coliseu de Lisbonne
- Os 50 anos do Coliseu dos Recreios – Covoès do Ricardo.
- Alain Woodrow – La femme bilboquet.
- La femme bilboquet
- Le bilboquet humain – M. G. Chalmarès – La Nature – 19/11/1910.
- Madame le Maire
- Des peintres maudits – Guy Coquiot.
- Artiste intrépide – France-Soir – 6/08/1960.
- La destinée de Mauricia de Thiers
- Adrian – Attractions Sensationnelles.
À lire
La femme bilboquet – Alain Woodrow – Éditions du Félin – Paris – 1993.