Par Bernard-Henri Jacques
Petits romans populaires de Cirque : Vagabondage dilettante dans l’univers curieux du « roman à deux sous », véritable patrimoine culturel.
Le Cirque, un sujet jadis fascinant
Le Cirque a longtemps inspiré les artistes. Ce spectacle, d’abord mondain, s’est popularisé, jusqu’à être, aujourd’hui, remis en question tant dans sa forme que sur son utilité sociale. Un grand nombre de peintres, écrivains, photographes ou cinéastes, a décrit, reproduit ou transformé cet univers et ses personnages pour en faire des symboles de modernité et de liberté. Cela fait maintenant partie du patrimoine national.
Mais d’autres témoignages plus modestes sont tombés dans l’oubli. Est ce utile de les en sortir ? « Non, mais c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! » disait Cyrano.
Patrimoine culturel des petits romans populaires
L’abondante littérature populaire de la première moitié du vingtième siècle, support artistique certes de qualité discutable, est aussi un émouvant témoignage culturel.
Chaque époque a ses supports de divertissement, et l’on pourrait comparer l’engouement des lecteurs et lectrices de ces fascicules hebdomadaires ou mensuels, dans ces années sans audiovisuel, à l’actuelle suprématie des séries télévisées, où, d’ailleurs, exceptés quelques films et la série Carnivale de Daniel Knauf, le Cirque est un sujet devenu plus rare et un décor moins usité.
Le petit roman
Démarré par l’auteur Eugène Sue et l’éditeur Jules Rouff avec Les Mystères de Paris, ce support sera développé par le franco-polonais Joseph Ferenczi. Vers 1900, abandonnant le commerce de publications grivoises qui lui vaut quelques déboires judiciaires, ce dernier décide, avec lucidité, d’une nouvelle politique éditoriale à la recette stricte : 16 ou 32 pages, couverture attrayante, prix minimum, lecteur ciblé.
Ce « livre à 2 sous » connaitra un succès de près de soixante années. Le public est segmenté : le lecteur actif, la ménagère au foyer, le jeune écolier désœuvré ne lisent pas la même chose. Les productions seront donc calibrées : Policier, Aventures, Amour, Jeunesse, etc.
Auteurs des petits romans populaires
Les auteurs se partagent en deux catégories : quelques auteurs maison, et une multitude d’auteurs occasionnels se cachant sous un pseudonyme. Georges Simenon signera sous vingt-sept pseudos dont Jacques Dersonne pour le bas de gamme, Georges Simpour le haut de gamme, et Kimou Mitsi pour les écritures humoristiques et polissonnes. Le thème du Cirque aura sa place dans toutes les séries, chez Ferenczi comme chez tous les autres éditeurs concurrents.
Éditeurs productifs
Pour séduire son clientèle d’habitués, consommateurs hebdomadaires sinon journaliers, Joseph Ferenczi, comme ses concurrents s’entourera d’auteurs chevronnés parmi lesquels, une femme connue sous le pseudonyme de Magali, surnom que donnera Fréderic Mistral à cette amie épistolaire. Ce prolifique auteur usa, sinon abusa des pseudonymes. Michel (mais aussi André) de Surty, Claude Meurice, Michel Cerdan, Sylvaine ou Sreidi, telles étaient quelques unes de ses signatures variant selon les maisons d’édition et le style du roman ; la signature masculine permettait une rémunération plus élevée.
Plus étonnant encore, elle utilisera, en 1942, l’innocente couverture de romans d’amour pour y insérer des informations utiles à la Résistance. Légion d’honneur et Médaille de la Résistance récompenseront son courage.
Le héros circassien
Deux cents ans d’archives décrivent un monde circassien extrêmement genré. Que Sabine Rancy et Arlette Gruss me pardonnent, mais, dans tous les romans de Cirque, le directeur est un homme, dur, sévère, et parfois cruel. Le dernier personnage du genre ainsi représenté est l’odieux Brancalou dans le film Poly. Baltringues et Tchécos sont aussi de gente masculine, mais de ceux là, personne n’en parlera, excepté Ludovic Roubaudi.
Les héros du Cirque sont typés. Le dompteur est alcoolique ou accidenté de la vie, et sa puissance est illusoire. L’acrobate est un amoureux transi ayant plus d’audace dans les airs qu’avec les femmes et le magicien est, bien entendu, pervers et calculateur. Le géant est souvent sympathique et généreux alors que le nain l’est beaucoup moins. Le Clown, personnage central du roman populaire, est souvent traqué ou repentant. Trouver le bonheur est souvent impossible à ce personne ambivalent.
L’héroïne circassienne
Henny Bario et Annie Fratellini, resteront sujets de biographe, car les héroïnes du Cirque sont cantonnées dans trois rôles : la dompteuse, dominatrice perverse, la trapéziste, manipulatrice au double jeu, et l’écuyère, jeune victime fragile d’un monde cruel.
Il serait tentant d’expliquer ces caricatures par quelque raccourci simpliste : de même que le maquillage du clown masque les blessures de sa vie, le fouet de la dompteuse évoque un univers sado-masochiste, la voltigeuse intrépide passe de bras masculin en bras masculin, et la fragile écuyère, fatiguée de risquer sa vie à maitriser la force de sa monture, cède facilement aux tentations mondaines. Un chroniqueur pédant, s’écrierait : « C’est le choc d’Eros et Thanatos ! ».
Un lecteur vulgaire trouverait, lui, l’écuyère plutôt conne, la trapéziste un peu garce et la dompteuse sacrément canon. Approches excessives, donc fausses.
Petits romans populaires de Cirque en fascicules
Évitant l’analyse littéraire, refusant la paraphrase béate, nous proposons au lecteur, un vagabondage dans ces petits fascicules oubliés, une distraction plaisante, teintée de nostalgie.
Galanterie oblige, ce vagabondage débutera à la recherche de l’Écuyère, la jeune et séduisante héroïne du roman populaire.
Bernard Henri Jacques
Sources : Petits romans populaires de Cirque
- Le cirque / Tableau de Marc Chagall (1956)
- La caravane de l’étrange / Série télévisée de Daniel Knauf (2003-2005)
- Les Mystères de Paris / Eugène Sue / Jules Rouff / 1843
- Gens du voyage / Pierre Peter/ Frenczi/ 1955
- Épouvante au cirque / Maurice Lionel / Ferenczi “ Mon roman policier N° 31“ / 32 pages /1946
- Démon Rouge / Michel Darry /Ferenczi “ Mon roman d’aventures N° 56“ / 32 pages /1947
- Jeux de cirque / Sherry / Ferenczi “ Le roman d’amour illustré N° 235“ / 32 pages /1936
- Les enfants du cirque / Line Deberre / Ferenczi “ collection Jeunesse N°5“ / 1949
- Poly / film de Nicolas Vanier / Brancalou = Parick Timsit / Octobre 2020
- Les baltringues / Ludovic Roubaudi / Le dilettante / 2002
- Amour de clown / Jean Sky / Les éditions nouvelles N°27 – Bruxelles / S.D.
- Cirque d’hiver / Dompteuse avec lions et tigres / Écuyère / J. Boichard / 1880- 1900
- Trapèze / Film de carol Reed / 1956