Les Castors ou Le parcours d’une attraction représentative de son temps par Toly Castors. Le témoignage d’un artiste international.
Par Toly Castors
Je m’appelle Toly Castors. Je suis un enfant de la balle. Pendant plus d’un demi-siècle, j’ai parcouru le monde en présentant avec mes frères Charly et Eddy un numéro d’antipodistes et icariens.
IIIe croisade
L’histoire du cirque et l’histoire avec un grand H se rejoignent en évoquant ma famille : les Dedessus le Moutier.
Celle historique avait pris racine lors de la IIIe croisade en terre sainte « 1189-1192 », avec à sa tête Philippe Auguste et Richard Cœur de lion. Mon ancêtre Dedessus le Moutier était un noble attaché au seigneur Philippe d’Alsace.
Suite à un fait d’arme, sa bravoure avait été récompensée par un titre qui figure sur son blason. L’expédition des alliés occidentaux se solda par un échec, néanmoins, mes descendants revenus au pays vécurent paisiblement bien des années dans leur domaine.
Il fallut attendre l’épopée Napoléonienne pour retrouver des Dedessus le Moutier aux diverses batailles de l’Empire. Certains d’entre eux s’établiront en Autriche.
Un conte de fées
La branche circassienne, dont ma sœur Nora, mes frères Charly, Eddy et moi-même représentons la cinquième génération, a débuté beaucoup plus tard, en 1840.
Cette histoire débute comme un conte de fées, la réalité paraît inventée. Pourtant dates, documents et transmissions orales, prouvent l’authenticité.
Il y a bien eu une Marie Célestine, enceinte d’un cousin, qui s’était sauvée du château familial. Elle fut recueillie par une caravane de banquistes dirigée par un saltimbanque de fière allure : Jean Baptiste Fister.
Dedessus le Moutier
L‘enfant qui naquit à Lille se prénomma Alphonse-Alfred, et fut enregistré sous le nom de sa mère. De ce fait, il fut le premier de la dynastie circassienne des Dedessus le Moutier. Une longue lignée, allait suivre, puisque Alphonse-Alfred se maria avec Marie Thérèse Platiau, et eut dix enfants, tous artistes de spectacles.
Il décéda à 41 ans, pratiquement là où tout avait commencé, à Granmetz en Belgique. La cérémonie eut lieu à l’église St Michel. Dans la foule qui accompagnait le corbillard, un des suivants fut très remarqué : son cheval de piste. Il avait quitté ses écuries pour suivre le convoi en ville, l’instinct et l’amour de son maître le guidaient. Il le suivit jusqu’au cimetière et se recueillit devant la dépouille. Cet acte de fidélité impressionnant est resté gravé sur une stèle de cette église.
Le Nord
La Belgique et le nord de la France ont été le terrain de prédilection de mes ancêtres, comme le prouve les armoiries de la famille sur les vitraux de l’église de Mons.
Au cours de leurs pérégrinations en palc, naquit au Quesnoy, le dernier de la fratrie, Alphonse-Alfred Berlot (mon grand-père). Il fut jockey sur cheval, directeur de cirque, Auguste au Cirque Medrano, puis tenancier de brasserie en face du même cirque.
Il s’était marié avec Germaine Wambach, fildefériste. Ils eurent trois enfants : Émilien, qui épousa Odette Bouglione, Louis (mon père qui se maria avec Nona Bedini) et Violette, mariée avec Firmin Bouglione.
Louis et Émilien commencèrent leur vie auprès des chevaux, principalement pour les entretenir. Ils montèrent ensuite un numéro burlesque d’acrobatie sur table, qui remporta un vif succès, avec lequel ils connurent les plus belles pistes et scènes de France et de l’étranger.
La rencontre
Lors de la saison 1936 au Cirque Bureau, un grands nom de l’époque, Louis y rencontra la femme de sa vie (ma mère) : Nona acrobate dans la troupe de son père Anatole Bedini, un prestigieux artiste russe d’origine italienne.
L’union en 1937, se réalise grâce à l’italien, la langue qu’ils emploient pour se comprendre. Le mariage a lieu à Fontenay-sous-Bois (Val de Marne), où les Bedini avaient acheté un coquet pavillon, un lieu de rencontre de la diaspora Russe.
Mes parents montèrent un numéro d’équilibriste.
Ma sœur Nora naquit en 1938.
La guerre
Au cours de la saison Amar 1939, la guerre éclata. Mon père fut mobilisé, dès le début du conflit.
Il fut fait prisonnier dans un hôpital. Mis en joue pour être exécuté, il en réchappa pour avoir parlé en Allemand, en citant tous les endroits où il avait travaillé avec, entre autres, la fameuse Scala de Berlin. La providence voulut qu’un soldat berlinois client de ce célèbre Variété, le sauva d’une mort certaine. Le spectacle a des vertus insoupçonnées.
Il resta prisonnier deux ans dans un camp, expérience difficile. Ma mère et son enfant restées à Paris, suivit les Bouglione en exode jusqu’à Bordeaux, puis sous l’occupation, fut engagée au Lido de Paris, avec une partenaire, avec un numéro de main à main : les Nonitas.
Le Cirque Moustier
Louis fut libéré en 1942 et je suis le fruit de son retour. Naquirent ensuite mes frères Charly en 1945, et Eddy en 1949.
Les tournées reprirent. les deux frères Émilien et Louis s’associèrent pour monter cirque nommé Moustier. Mes parents s’y démultiplient en activité.
Les Dallys
Le cirque familial malgré de belles programmations, n’eut hélas que cinq ans d’existence. Mes parents reprirent le parcours des engagements avec un numéro d’acrobatie original, costumé en gitan, les Dally’s.
Un partenaire se joignit à la troupe. En 1951, au cours de la tournée Jos Mullens aux Pays-Bas, je le remplaçais au pied levé. Ce furent mes débuts en voltigeur acrobate. À partir de ce jour, je ne quitterai plus la piste ou la scène.
Début des Castors
Le numéro des Castors, en 1957, première bouture, composé de ma mère, mon père, ma sœur, et moi-même débuta au Cirque Medrano. Au programme : le grand amuseur de cette décennie Fernand Raynaud.
J’ai toujours eu une grande admiration pour ce cirque et les programmes innovateurs de Jérôme Medrano. Ces deux mois de contrat furent déterminants qui confirmèrent notre nouvelle spécialité. Le numéro progressa et entama une dimension internationale. Effectivement, en 1958, nous fûmes engagés chez Wilkie, pour une tournée en Afrique du sud.
Jongleries
Avec ma sœur nous débutions également un numéro de jonglerie, disons de complément, qui plût à la direction. Sans nous consulter ils nous baptisèrent– Toly and Dolly.
Conscient de mon niveau, je m’accordais plusieurs années de répétitions avant de reprendre le jonglage en solo, cette fois sous le nom de Toly M.
Moscou à l’époque du rideau de fer
Autre entrée en piste, celle de mon frère Charly en 1958, dans le numéro des Castors au Cirque Napoléon Rancy en tournée en France.
Puis en 1960-61, débuts de mon petit frère Eddy au Cirque de Moscou lors de la tournée en URSS, avec en tête d’affiche Achille Zavatta. Un illustre spectateur assista au spectacle qui s’appelait le camarade Kroutchev.
En parallèle, les Castors poursuivaient leur envolée. Deux mémorables saisons au Grand Cirque de France, direction Gruss.
Notre sœur nous quitta pour raison de mariage, l’époux étant le maître écuyer, Rodolphe Gruss. Il décéda trois ans plus tard d’une longue maladie.
Tournées européennes et américaines
Suivirent ensuite tournées et variétés dont Schumann à Copenhague, ou encore Ringling lorsqu’il organisa un tour en Europe dans les palais des sports dont le succès fut mitigé. Par contre, en Suisse, Knie 1973 fut une tournée de rêve. Nous participions avec Rolf jr et une bande de joyeux lurons au numéro appelé Les Jumping international, un amusant numéro de cascadeurs.
Suivit le Circus-Circus à Las Vegas, pendant deux ans. Je présentai alors les deux numéros. Il m’arrivait de passer huit fois par jour, mais j’étais en pleine forme. Vegas, cette ville fascinante nous stimulait. Après quelques mois, notre père retourna à Paris après avoir accompli son souhait, celui de travailler aux USA.
Luxueux contrats
Nous continuions notre numéro, en favorisant des engagements dans ce que l’on nomme le cabaret qui, en réalité, étaient des grandes revues.
Un contrat représenta le summum du genre : Sun City, en Afrique du sud. Il s’agissait d’un complexe grandiose. La vue de nos balcons donnait sur l’immense piscine, les cours de tennis prolongés d’un parc national d’où l’on distinguait les animaux sauvages. C’était le zoo et l’exotisme à domicile ! Le spectacle débordait de qualité et de luxe.
Notre métier nous apprit à ne pas s’y habituer… n’empêche, que notre carte de visite s’enrichit encore de superbes établissements : Ainsi, en 1977, le Silver Jubilée à l’occasion des 25 ans de règne de la reine Élizabeth.
God save the Queen
Nous fûmes invités au château de Windsor, pour une Royal Performance, entourés de vedettes prestigieuses.
Nous furent présentés à la reine. Elle nous parla en français. Quant au Prince Philip, c’était carrément drôle, il nous surprit en nous confiant bien connaître notre quartier Pigalle.
Ce fut ensuite, le casino du Palm Beach de Cannes, la Scala Barcelone, les casinos australiens de Hobart et Launceston, les salles de fiestas d’Espagne dont le fabuleux Tito’s de Palma de Mallorca, deux années de grandes tournées en Australie, au Japon, aux Philippines… Le Talk of the Town de Londres, Le Loews de Monte Carlo. De fabuleux endroits dont nous déplorons aujourd’hui la disparition. Je vous rassure le château de Windsor lui existe toujours.
Le Lido
J’ai rencontré ma compagne Earlène, en 1981, au Lido de Paris. Notre duo s’est vite transformé en trio, avec mon fils Thomas et en quatuor, avec la venue d’Estelle.
Les Castors connurent en Allemagne le grand essor des Variétés. Nous étions de la réouverture du fameux Wintergarten. Il en fut de même au Star Club de Kassel où nous avons mis en scène quelques shows qui obtinrent l’adhésion de tous.
Un établissement nous convint particulièrement : le Variété Chamaleon de Berlin. Nous y avons débuté une carrière d’amuseurs, en créant en collaboration, plusieurs spectacles inventifs très joyeux, en osmose avec un public composé de jeunes.
Nos années comiques
Encore du neuf 1999. Nous avions produit à Paris, le temps d’un hiver, un spectacle Les rendez-vous du Musicool, basé sur l’humour. Le slogan était Amusez-vous les uns les autres.
Nous avions invité nos amis et des connaissances de passage. Le lieu : le Théâtre de la ménagerie annexe du Cirque d’Hiver. Une expérience très enrichissante… sur le plan artistique et de rencontres.
Entertainers
Quand on nous proposa de nous joindre à un nouveau projet à Seattle, puis à San Francisco, aux U.S.A., nous anticipions en adaptant le numéro à leur concept, et point primordial, pour eux nous parlions anglais. Ce fut le dîner-spectacle Teatro Zinzanni. On nous appelait des characters-entertainers and performers. Nous avions l’immense plaisir de partager des scènes avec Joan Baez, Liliane Montevecchi et plusieurs autres célébrités américaines.
Le contrat était supposé durer seulement six mois. Le succès fut tel que nous y sommes restés onze ans ; par tranches de six à neuf mois ! C’était idéal puisque la saison d’hiver se passait dans les Palazzo en Europe. Cette superbe tente-miroir, victime de son succès, existe encore aujourd’hui.
Circus Dinner Show
Nos dernières cartouches furent de luxe sous l’égide de la princesse Stéphanie de Monaco Le Circus Dinner Show. Ce spectacle d’été fut conçu pour un lieu superbement transformé : le chapiteau de Fontvieille. Nous étions le fil rouge pendant quatre années consécutives. Un contrat à Monte-Carlo il faut l’avouer a toujours un goût de vacances, pour nous et nos enfants.
Nora
De ci-delà, il y eut bien eu des mises en scène, des prestations chacun de notre côté. Seulement la rencontre des frères et sœur n’a lieu maintenant que pour les réunions de familles.
Ma sœur Nora a épousé, en secondes noces, le fameux clown Toto Chabri basé à Bruxelles. La tradition continue avec ses deux filles Aline dans le duo Platchkov et Martyne Chabry. Son fils Alain est devenu professeur de Physique.
Charly
Mon frère Charly a épousé, à Seattle, une américaine Linnea. Il est resté associé au Teatro Zinzanni en cumulant son poste de producteur du Moisture Festival. Son fils Éric Nondsen est comédien, multi-animateur, sur les planches et dans la sciure.
Eddy
Quant à mon troisième frère Eddy, il continue les saisons à la seule différence qu’il les contemple depuis la terrasse de sa maison. Ses deux fils Anatole et Clément pratiquent des métiers de sédentaires.
Après cette longue carrière artistique, nous prenons le temps de la retransmettre, voire de l’écrire, tout en goûtant aux joies d’être parents et même grands-parents, et de nous adonner à la lecture comme par exemple celle des magazines de Cirque.
Toly Castors
12/01/ 2021
Sources
Souvenirs de l’auteur.
À lire
L’éloge du Cirque – Les loges du Cirque – Toly Castors – 2011.
Traits Très Cirque – Dessins Toly Castors – Fly de Latour – Couleur Cirque – 2014.