Marie-Gabrielle – Fondatrice du Cirque Amar : Adaptation du livre Les cirques des frères Amar de Dominique Denis aux Éditions Arts des 2 Mondes.
par Dominique Denis
Enfants de la Lozère
Marie Gabrielle : En 1924, Madame veuve Amar, née Marie-Gabrielle Bonnefous, assistée de ses quatre fils, se lança sur le Voyage avec son premier cirque-ménagerie. Elle venait de réaliser, à l’âge de 61 ans, son rêve de jeune fille.
Depuis sa plus tendre enfance elle avait rêvé de devenir écuyère, peut être même directrice de Cirque.
Quand elle naquit à Evreux le 12 novembre1863, son père Camille Adolphe Bonnefous, né en 1828 à La Borie de la Carnougue, avait quitté sa Lozère natale.
Dans certains actes d’état civil de cette famille, le patronyme est orthographié également Bonnefoux. Ainsi, les deux écritures peuvent être considérées comme valables, et pour des raisons pratiques, nous emploierons la première terminaison.
Camille-Adolphe Bonnefous
Après avoir été tisserand, Camille-Adolphe s’était établi dans le chef-lieu du département de l’Eure, où il exerçait la profession de concierge de prison.
La mère, Marie Julie, née Rolle en 1834, venait de Saint-Chély-d’Apcher, bourg d’où était originaire la famille Pezon. Le grand-père, Jean Antoine Bonnefous, né en 1797 à la Borie, exerçait le métier de serrurier. Et l’arrière-grand-père, Jean Baptiste, était né à Maleville en 1770, date clef de l’Histoire du Cirque.
La Ménagerie de la Lozère
Mustapha Amar aimait raconter que son grand-père Camille-Adolphe Bonnefous, cultivateur, avait capturé un loup dans un bois, et qu’il eut l’idée de l’exhiber dans sa région, puis dans les foires d’alentour. Il apparaît que cette histoire ressemble étrangement à celle de Jean Pezon, originaire lui aussi de Lozère.
Quoi qu’il en soit, Camille Adolphe délaissa sans regret l’univers carcéral pour embrasser la carrière de forain. Il acheta quelques ours, puis monta un Théâtre des Plantigrades.
Son cheptel s’agrandit au fil du temps et s’intitula La Ménagerie Lozérienne. Ses quatre enfants, Marie Frédéric Casimir, Gaston, Camille-Alphonse et Marie-Gabrielle, participaient activement à la vie de l’entreprise.
Marie-Gabrielle pendant le Second Empire
La petite Marie-Gabrielle qui admirait son père ne le quittait pas d’un quart de centimètre. Elle gardait toujours avec elle, la photographie où il posait à côté d’elle, les moustaches à la Gauloise, coiffé d’un chapeau de paille, vêtu d’un pantalon blanc, d’un gilet agrémenté d’une chaîne de montre en or, et d’une veste boutonnée par le bouton d’en haut.
Née sous le second Empire, elle vécut une époque en pleine expansion, pendant laquelle la France rurale se métamorphosa en puissance industrielle. Cependant, elle fut terriblement marquée par la guerre franco-prussienne, et pria pour qu’elle ne vive plus jamais ces périodes traumatisantes de conflits meurtriers.
Elle, qui avait passé une partie de sa jeunesse dans la baraque foraine de son père, apprit tout ce que l’on peut savoir sur ce métier, de l’achat des animaux à la gestion de l’entreprise, et connut tous les rouages de la vie foraine.
Cirques d’antan
Malgré sa fierté en faveur de la Ménagerie paternelle, elle regardait avec envie les cirques qui s’installaient sur les foires. Plège et Rancy régnaient en maître dans toute la France, mais il fallait compter d’autres établissements comme Pinder, Cotrelly, Ciotti, Bureau, Nava et bien d’autres. Paris était la capitale du cirque avec le Cirque d’Eté, le Cirque d’Hiver (ex-cirque Napoléon), le Cirque Fernando, et les Hippodromes.
Elle écoutait avec ravissement les histoires de cirques colportées par les Gens du Voyage… comme le triomphe du dompteur anglais James Crockett, de l’Allemand Hermann ou de l’Italien Opilo Faïmali… l’audace de Jules Léotard, l’inventeur du trapèze volant… la venue d’un nouveau type de clown appelé Auguste… le succès phénoménal de Théodore Rancy en Égypte lors des festivités de l’inauguration du canal de Suez…
Elle se voyait déjà…
Surtout, elle était fascinée par les écuyères et écuyers, notamment le numéro de jockey d’Epsom créé par William Bell. Elle se voyait déjà, en tutu rose, debout sur un cheval pommelé, sautant au-travers des ballons tenus par un clown à la perruque tricuspide.
Marie-Gabrielle Bonnefous rêvait secrètement de rencontrer un beau cavalier qui l’emporterait sur son cheval…
La Grotte Algérienne
La réalité fut autre. Elle se maria avec Ahmed ben Amar ben El Gaïd. Il était né en 1853 à Bordj Bou Areridji, dans le Constantinois, fils d’Ahmed. Son métier : montreur de fatmas dans une baraque foraine appelée Palais Oriental.
Comme son père, Ahmed ben Amar ben El Gaïd exerçait la profession de forain. Il fut également maquignon, exploitant d’une petite loterie, puis d’une petite baraque intitulée La Grotte Algérienne.
Une photo ancienne, de trop mauvaise qualité pour être reproduite, représente la parade de ce modeste établissement, avec une danseuse Ouled Naïl qui se déhanchait sur la parade, un serpent autour du cou en guise de boa. On ne sait avec précision, quel fut le succès de cette entreprise auprès des messieurs friands d’exotisme.
La Fosse aux lions Ahmed
Pour entrer dans la famille Bonnefous, Ahmed ben Amar ben El Gaïd dut faire ses preuves. Pour cela, il entra bravement dans la cage aux lions.
L’expérience étant concluante, son futur beau-frère Casimir lui vendit deux lionceaux et il monta La Fosse aux lions Ahmed. On appelait fosse un modeste établissement forain où le public assistait au spectacle du haut de l’estrade de la parade qui se prolongeait en un balcon intérieur à droite et à gauche de la baraque. La cage centrale flanquée d’une voiture-cage se trouvait donc en contrebas, d’où le nom de fosse. La postiche était continuelle et les séances étaient présentées à l’abattage.
Mère courage
Une fois les lampions de la fête éteints, Marie-Gabrielle vécut la vie ordinaire d’une épouse de forain. Sa vie ne fut pas toujours rose.
Quand il n’y avait pas de foires, elle n’hésitait pas à travailler chez des particuliers. Elle ne manquait pas de courage. Ainsi, sur l’acte de naissance d’Amar Aîné, il était indiqué qu’elle exerçait la profession de domestique.
Marie-Gabrielle et ses fils
Entre deux parades, la gestion de la baraque et la tenue du ménage, elle donna naissance à une douzaine d’enfants.
Elle connut des moments de grandes peines, car cinq moururent en bas âge. L’aînée fut une fille, Blanche, qui décéda dans sa vingtième année. Heureusement, il lui resta six garçons : Amar, dit Amar aîné, Abdellah, Mustapha, Saïd, Ali et Shérif. Parmi ces six frères, quatre ont participé à la création du Cirque Amar : Amar Aîné (né le 7 janvier 1888 à Crugny)… Mustapha, (né le 1er juillet 1896 à Fontenay-le-Comte)… Ali, (né le 10 février 1900 à Rennes)… Shérif, (né le 9 janvier 1902, à Clermont d’Hérault).
Adieu Marie-Gabrielle
Souffrante depuis quelques semaines, la maman des frères Amar restait alitée, chez elle, rue Sourderie à Blois. Le 3 février 1954, Marie-Gabrielle veuve Ahmed ben Amar ben El Gaïd, née Bonnefous, poussait son dernier soupir.
Ses fils, qui la vénéraient, étaient meurtris. Le chagrin fut immense pour ses enfants, ses petits-enfants, mais aussi pour tous les forains et circassiens. Le Cirque Amar venait de perdre son ange gardien. Après les obsèques célébrées à Blois, l’inhumation eut lieu au cimetière de Montreuil dans le caveau de famille Amar.
Hommages
Dans la nouvelle revue corporative Scènes et Pistes fondée par Carrington et Paul Adrian, Gustave Soury, qui l’avait bien connue, lui rendit un émouvant hommage en évoquant quelques souvenirs :
« … À chaque escale, par les belles journées ensoleillées, elle venait s’asseoir sur le balcon de sa riche demeure ambulante, mais comme le travail lui était aussi nécessaire que la route, elle n’y restait pas oisive ; elle tricotait avec dextérité de chauds lainages pour les enfants pauvres de Blois, n’abandonnant sa besogne que pour deviser et égrener des souvenirs avec les vieux amis qui venaient lui rendre visite… »
Nous renouvelons notre admiration à Marie-Gabrielle, femme exceptionnelle, qui avec 4 fils, créa le Cirque Amar, en 1924.
Dominique Denis
Extraits et adaptation du livre Les cirques des frères Amar de Dominique Denis.
Sources – Marie-Gabrielle
- Acte de naissance de Marie Bonnefous et Actes d’état civil de la famille Bonnefous – documents Paul Salasca et Alain Nénert.
- Photographies anciennes des archives de Jean Biberon, Charles Degeldère, Pierre Paret, et Paul Salasca.
- Notes de Louis Malavielle.
- Lozère et gorges du Tarn – Félix Buffière.
- Forains d’hier et d’aujourd’hui – Jacques Garnier.
- Amar, Roi du Cirque – Serge.
- Dompteurs et Dompteuses de la Belle Epoque – Charles Degeldère.
- Coulisses et secrets du cirque – HenryThétard.
- Amar d’hier et d’avant-hier – Jacques Garnier – Le Cirque dans l’Univers – n° 91.
- Sur le chemin des grands cirques voyageurs – Adrian.
- Cirques en bois, cirques en Pierre – C. Degeldère et D. Denis.
suite – Marie-Gabrielle Amar
Entretiens avec Serge.
Dossiers chronologiques de l’auteur.
Arbre généalogique Amar – Fabien Aubaire – Archives Municipales de Blois.
- Arbre généalogique Ahmed ben Amar – Alain Nénert.
Actes de naissance de Amar, de Mustapha, de Ali et de Shérif Ahmed ben Amar ben El Gaïd – documents Alain Nénert.
Le cirque en deuil – Serge – 6/2/1954.
La dernière pensée de Madame Amar – Francis Rico – Music-Hall and Circus – n° 154.
Madame Amar est morte – Le Monde – 6/2/1954.
Le carnet du Monde – 10/2/1954.
La mère des frères Amar n’est plus – Gaston Cony – Inter Forain – 15/2/1954.
Souvenirs sur madame Amar – Gustave Soury – Scènes et Pistes – n° 3.
Mort de madame Amar – Echo – juin 1954.
Madame Amar est morte – Music-Hall and Circus – 1954.
À Lire
Les cirques des frères Amar- Dominique Denis – Arts des 2 Mondes – Aulnay sous Bois – 2006.