Rognolet et Passe-Carreau : extrait et adaptation du livre Le Cirque en France au XVIIIe siècle de Dominique Denis aux éditions Arts des 2 Mondes.

Une fantaisie équestre

Rognolet - scène de manège
Rognolet

Rognolet et Passe-Carreau : sous cette appellation, cette fantaisie équestre, parfois appelée le tailleur gascon, n’était autre que l’adaptation française du Tailleur de Brentford. Elle fut interprétée en novembre 1795 par la troupe Franconi, dans le manège parisien d’Astley, sous l’enseigne de : Amphithéâtre d’exercices d’équitation et de voltiges de Franconi.

Ce texte peut être considéré comme faisant partie du patrimoine immatériel de la Culture française.

Le décor représentait une boutique à l’enseigne Rognolet, marchand tailleur. Elle se jouait à quatre personnages plus un cheval : Rognolet, son valet Passe-Carreau, incapable de monter à cheval, le maître de poste et un postillon. Ce dernier patronymeévoquait le fer avec lequel les tailleurs donnent aux étoffes un pli convenable, appelé carreau.

1 – La scène de manège

L’action débute par l’entrée du valet Passe-carreau. Il se marche à grands pas en tenant un paquet sous le bras. Un postillon à cheval arrive à vive allure droit sur Passe-carreau, qui apeuré, laisse tomber son paquet.

Passe-carreau : Hé ! Mon Dieu ! On crie gare ! Au moins.

Le Postillon : Voici une lettre de la part de mon maître.

Passe-carreau : Que veut-il mon Maître ?

Le Postillon : Il demande monsieur Rognolet. Ous-qu’il est ?

Passe-carreau : Il n’y est pas.

Le Postillon : Comment ! Il n’y est pas ? À l’heure qu’il est ? Hé bien, alors, remettez-lui cette lettre, car c’est bien pressé.

2 – suite

Il lui remet une grande enveloppe et sort.

Entre Rognolet à cheval. Il est vêtu d’un habit confectionné de différentes étoffes diverses

Rognolet : Qu’y a-t-il de nouveau ?

Passe-carreau : Riendu tout. Il est venu comme çà un postillon, qui dit que son maître vous demande et que c’est bien pressé.

Rognolet : Où faut-il aller ?

Passe-carreau :   À l’endroit indiqué sur la lettre.

Rognolet : Où est-elle cette lettre,  imbécile ?

Passe-carreau : Merci mon parrain, je vous l’ai donnée.

Le croyant sur parole, Rognolet cherche la lettre dans ses poches, puis sous la selle de son cheval, et bien sûr, ne la trouva pas.

Entre-temps, Passe-carreau retrouve la lettre et la lui remet.

Rognolet lui fait signe de la lire à sa place.

Passe-carreau : Ah ! Mon Dieu ! Que de pattes de mouche !

3 – suite

Rognolet - renversé au  manège
Rognolet renversé

Il commence la lecture en ânonnant.

Monsieur Rogno… let est prié de se rendre à mon châ… teau afin de me prendre mesure d’un habit.

Rognolet : J’y vais sans perdre de temps. Je piquerai des deux.

Il enfourche son cheval. Celui-ci, fatigué se laisse tomber sur son maître et le renverse.

– Passe-carreau ! Dégage-moi la jambe gauche ; je crains de l’avoir brisée.

Passe-carreau : Comment, brisée ?

Rognolet : Rien que cela.

Passe-carreau : Je vais chercher du secours.

Rognolet : Retire ma jambe auparavant !

Passe-carreau tire la jambe droite.

– Hé ! Ce n’est pas celle-ci, malheureux ; c’est la gauche.

Passe-carreau s’approche du cheval et lui, avec vivacité, la jambe gauche.

Cadédis, que fais-tu donc à mon cheval ? Le pauvre animal est mort ; nous n’avons pas trouvé d’avoine en route.

4 – suite

Passe-carreau : Quoi ? Not’maître, c’est-il Dieu possible, vous n’avez pas mangé d’avoine en route ?

Rognolet : Bestiasse, c’est le cheval qui n’a pas mangé !

Passe-carreau : C’est votre faute aussi !

Rognolet : Tu raisonnes, drôle ? Tu sais que je n’aime pas les raisonneurs !

Passe-carreau : Je raisonne parce que j’ai raison.

Rognolet : Mon cher, il me vient une idée. Va trouver le maître de poste, et dis-lui qu’il m’est arrivé un accident.

Passe-carreau : Monsieur la poste ! Ohé ! Monsieur la poste !

Arrive le maître de poste.

Le Maître de poste : Que demandez-vous ?

Passe-carreau : C’est pas moi C’est mon maître et son bidet qui sont tombés par terre.

Le Maître de poste : Je ne vois ni le maître, ni la bête…

5 – suite

Rognolet chez Franconi - intérieur
Rognolet chez Franconi

Regardant Passe-carreau…

– Ah ! Si ! Je vois la bête !

Passe-carreau : Hé bien merci. Vous êtes donc mioche ?

Le Maître de poste : D’abord, on dit myope, et non pas mioche !

Puis, il tâte le cheval.

– Ce cheval n’est pas mort.

Passe-carreau : Bon ! Vous voyez qu’il a reçu un coup de pied de cheval.

Le maître de poste fait claquer sa chambrière. Le cheval se relève et emporte son maître.

Passe-carreau : Arrête ! Arrête !

Le cheval se débarrasse de son cavalier.

Rognolet qui s’est relevé, répare le désordre de sa toilette. Il cherche son chapeau sur lequel Passe-carreau s’est assis par mégarde…

Un autre cheval est amené qui a toutes les apparences de la douceur.

Rognolet s’en approche pour le flatter, mais celui-ci le repousse vivement et le menace par des ruades.

6 – suite

Rognolet : Monsieur la poste, est-ce que vous croyez que je ne vois pas vos finesses ? Vous vous entendez tous les trois pour me pousser à bout.

Nouvelles ruades du cheval.

– Hé bien, ne voilà-t-il pas qu’il veut monter sur moi ?

Le Maître de poste : Parlez-lui un peu. En le prenant par les sentiments, peut-être qu’il entendra raison.

Rognolet flatte le cheval. Il se laisse alors enfourcher sans résistance.

Puis, subitement, se cabre, prend le mors aux dents et après deux ou trois tours de manège, le jette à nouveau à terre.

Rognolet : Ouf ! Je suis moulu… Mon ami, ôtez-moi mes bottes.

Passe-carreau : Dites donc, est-ce que vous me prenez pour un tirebottes ?

Il tire les bottes si fort que Rognolet tombe à la renverse et se retrouve en chaussons.

7 – suite

Le Maître de poste : Monsieur Rognolet, vous êtes un brave homme et je m’intéresse à vous. Voici un nouveau cheval qui est fort doux.

Rognolet : Je m’y fie pas plus qu’à l’autre.

Le cheval s’élance alors pour le saisir. Rognolet se précipite sous son établi de tailleur pour se cacher, mais la monture renverse la devanture. Rognolet se réfugie dans la boutique et le cheval le poursuivant, saute au travers de la fenêtre.

Dominique Denis

Extrait de Le Cirque en France au XVIIIe siècle – Dominique Denis – Arts des 2 Mondes.

Sources

Le Cirque en France au XVIIIe siècle -
Le Cirque en France au XVIIIe siècle –
  • The Memoirs of J. Decastro – Jacob Decastro.
  • Le Cirque Franconi – Une chambrière en retraite.
  • Fêtes et Révolution – Collectif.
  • Cirques en bois, Cirques en pierre de France – Charles Degeldère et Dominique Denis.
  • Dictionnaire illustré des mots et locutions du Cirque – Dominique Denis.
  • La vie quotidienne au temps de la Révolution – Jean Robiquet.
  • La vie parisienne sous la Révolution et le Directoire – Henri d’Alméras.
  • Le Cirque Olympique ou les exercices de MM. Franconi, du cerf Coco, du cerf Azor, de l’éléphant Baba, suivi du cheval aéronaute de M. Testu Brissy ou Petits parallèles de l’instinct perfectionné des animaux et la raisons naissante des enfans – madame B*** née de V. – Paris – Nepveu.
  • Greatest show on earth – Willson Disher.
  • Rognolet et Passe-Carreau – Henry Thétard – Le Sport Universel Illustré – 1925.
  • Les Clowns et la tradition clownesque – Pierre-Robert Levy.

À lire

Le Cirque en France au XVIIIe siècle de Dominique Denis – Arts des 2 Mondes – Aulnay sous Bois – 2013.